« L’ÉCONOMIE de l'officine suit des cycles d’environ dix ans. La marge dégressive lissée (MDL) date de 1990, la nouvelle marge avec les génériques de 1999. En 2009, nous sommes à nouveau confrontés à la révision du système pour faire face aux évolutions de notre environnement », explique Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF). L’Ordre des pharmaciens (CNOP) avait déjà pointé du doigt la question de la rémunération dans son livre blanc : « le débat sur les parts respectives de la marge et de l’honoraire de l’acte pharmaceutique ne doit pas être éludé. Il peut inquiéter, car il engagera profondément l’avenir de la profession ; il devrait rassurer car il peut ouvrir de nouvelles perspectives. »
Dans ce domaine, les propositions sont aussi nombreuses que les organes, représentatifs ou non, regroupant des pharmaciens. L’initiative la plus récente vient du Collectif des groupements (CNGPO). Depuis aujourd’hui même, 29 juin, l’assuré AGF-Allianz peut solliciter un conseil écrit (dans la limite de quatre par an) du pharmacien agréé de son choix pour l’une des 43 pathologies listées par un comité scientifique. Le pharmacien orientera le patient vers un traitement de fond choisi parmi plus de 1 000 références. Alors que l’officinal est rémunéré par l’assureur pour son conseil à hauteur de 5 euros, les produits délivrés seront réglés par l’assuré qui présentera la facture aux AGF pour être remboursé.
Une consultation pharmaceutique.
« La rémunération actuelle est dans une tendance baissière car la marge chute de manière significative mais aussi notre volume d’activités, relève Pascal Louis, président du CNGPO. Vu les perspectives économiques, une rémunération à l’acte doit être complémentaire de notre marge commerciale, le transfert n’est pas envisageable. Le partenariat avec AGF, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg, montre qu’il est possible de trouver un mode de rémunération valorisant. »
Cette alliance CNGPO-AGF n’a laissé personne indifférent. Francis Mégerlin, maître de conférences à la faculté de pharmacie de Paris Descartes, se réjouit et soutient « pleinement le concept de consultation pharmaceutique, auquel on fait un faux procès ». Pour lui, ce type d’initiative permet de dynamiser le débat, revaloriser la profession et aider à son changement de culture.
En revanche, l’Ordre, tout comme la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) émet des réserves quant à l’égalité de l’accès aux soins et de la délivrance du médicament pour toutes les officines. Mais pour Pascal Louis, « la protocolisation d’un conseil pour un assuré AGF n’entache en rien la qualité du conseil vers un assuré non AGF ».
« Cette initiative nous montre en tout cas qu’il faut aller plus vite et plus loin dans nos démarches, reconnaît cependant Philippe Besset, président de la commission Économie de l’officine de la FSPF. Une chose est sûre : les complémentaires ont un rôle à jouer dans la prise en charge de tout ce qui n’est pas remboursé. »
La boîte de Pandore.
Cette initiative rappelle l’expérimentation lancée par un accord des trois syndicats représentatifs avec la MTRL, en avril 2007. « Nous sommes dans la même lignée politique, je ne peux que féliciter le Collectif », note Gilles Bonnefond, vice-président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Ce n’est pas l’avis de Claude Japhet, pour qui le projet, « même s’il va intellectuellement dans le bon sens - ne serait-ce que dans celui de la loi HPST (Hôpital Patients Santé Territoires) -, est stupide et dangereux car le conventionnement avec les AGF se fait individuellement, les officinaux ne sont pas protégés collectivement. Un syndicat peut intervenir pour tout pharmacien, syndiqué ou non, tandis que le Collectif est une structure associative de droit privé non représentative qui n’a pas la capacité d’agir pour un tiers ». D’autres partenariats entre groupements et complémentaires pourraient suivre. « Sur une idée pertinente, le Collectif entraîne la profession dans un nouveau cadre juridique. Il vient d’ouvrir la boîte de Pandore à la plus grande cacophonie professionnelle. »
Pascal Chassin, président d’Action pharmaceutique libérale d’union syndicale (APLUS), plébiscite quant à lui l’initiative, mais il regrette qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une concertation. « Il faut une rémunération adaptée à l’acte fondamental du pharmacien, l’analyse de l’ordonnance. Nous sommes pour qu’il ait des missions nouvelles avec une rémunération spécifique, mais la base de son métier, c’est à 80 % la délivrance. » L’APLUS propose un système de valeurs d’acte progressif selon la difficulté de l’ordonnance.
Délégation d’actes.
Une étude en cours pourrait vérifier que ce modèle ne perturbe pas l’équilibre économique des pharmaciens, de l’assurance-maladie et des complémentaires. « La marge ne peut complètement disparaître, nous avons une activité d’achat et de revente. Le tout est de savoir jusqu’où nous pouvons déplacer le curseur entre rémunération à l’acte et base commerciale. À cela s’ajouterait la rémunération d’autres activités, comme un forfait de 10 euros remboursables par l’assurance-maladie et les mutuelles, lorsqu’un patient sollicite un pharmacien sans passer par le médecin », propose Pascal Chassin. Reste à établir une grille de tarifs entre professionnels de santé et payeurs.
Gilles Bonnefond confirme l’inadaptation de la rémunération actuelle qui doit profiter de la reconnaissance de nouvelles missions. « Encore faut-il construire ces missions et un support législatif, les mettre en place dans des cadres expérimentaux pour montrer l’efficacité de l’intervention du pharmacien, faire évoluer la rémunération et déterminer qui finance. » Tout cela doit se faire par étape et demande du temps « pour que le patient intègre la normalité de la rémunération d’un entretien pharmaceutique et que chaque pharmacien s’engage dans une démarche de santé publique. »
Pour Philippe Besset, le cœur de métier reste la dispensation du médicament. « La marge commerciale, aujourd’hui dévoyée, intègre l’acte intellectuel qui est indissociable du prix produit. En revanche, toute intervention autre que la dispensation doit être rémunérée à part. » Pour cela, certaines missions anciennes, actuellement rémunérées par un système de marge, doivent être sorties de cette base commerciale pour bénéficier d’une rémunération propre, comme la substitution ou les missions de pharmacovigilance. « D’accord pour augmenter la qualité de l’acte pharmaceutique, accepter de nouvelles missions, continuer des services tels que le contrôle des droits des patients, mais la rémunération doit évoluer. L’État devra mettre la main à la poche. Il le fera si nos nouvelles missions génèrent des économies. Nous recevrons alors une délégation d’actes et le transfert des fonds attenants. »
Vers un basculement progressif.
Philippe Besset imagine parfaitement une première mise en place lors d’un PLFSS. « C’est trop court pour le prochain, mais pourquoi pas pour le suivant ? Ce serait formidable si la ministre de la Santé, qui a pu faire inscrire le rôle du pharmacien dans le Code de la santé publique et ses missions dans la loi HPST, pouvait sauver définitivement les trois piliers de la profession et lancer la réforme de la rémunération durant son mandat. »
Mais avant de lancer un nouveau système, il doit être testé pour s’assurer de ses effets positifs. Selon Claude Japhet, il serait « suicidaire » de transformer la marge commerciale en honoraires liés au médicament et à la prescription, par un forfait à la boîte, à la ligne ou à l’ordonnance. « Notre activité ne cesse de baisser : le volume de boîtes vendues, et donc notre marge, le nombre de lignes par ordonnance et la quantité d’ordonnances (comme le volume des consultations) sont en chute libre. » De même, l’immobilisme est à proscrire puisque la situation déflationniste conduit à une baisse continue des revenus chaque année, autrement dit à un avenir professionnel condamné. « L’idéal est de passer d’un système à un autre progressivement, en préservant notre marge tout en intégrant les missions inscrites dans la loi HPST, afin de compléter la rémunération actuelle et de compenser nos pertes. » Les pertes engendrées (100 millions d’euros par an) pourraient être réinvesties par l’État dans des services identifiés (suivi thérapeutique, pharmacien référent, etc.). « Ainsi, nous optimisons les coûts entre les pertes et le passage au nouveau système. La marge continue à exister, mais un basculement progressif se fera en faveur de la rémunération de prestations d’ici cinq à dix ans. »
Francis Mégerlin résume parfaitement ce qu’il faut attendre de la future rémunération. « Le seul modèle exemplaire est le modèle gagnant-gagnant : celui qui permet d’optimiser le service au patient, de motiver les pharmaciens, de favoriser la cohérence de la chaîne de soins et d’employer rationnellement la ressource collective. »
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