Le Quotidien du pharmacien.- Vous intervenez régulièrement dans des conférences sur le sujet du regroupement d’officines. Pourquoi, selon vous, cette possibilité de restructurer le paysage officinal semble aujourd’hui revenir en force ?
Philippe Becker.- Le regroupement a été inséré dans le code de santé publique il y a de nombreuses années et, effectivement, il a eu du mal à s’imposer depuis lors. Les choses changent cependant car l’ordonnance du 3 janvier 2018 a clarifié beaucoup d’aspects et elle en a fait une voie prioritaire pour résoudre le surnombre d’officines dans certaines zones urbaines tout en réaffirmant l’importance d’un maillage territorial permettant un bon accès de la population au médicament. L’ordonnance a également simplifié certaines procédures.
Cela étant dit deux facteurs concourent à une réflexion des officinaux sur l’intérêt de se regrouper : la situation économique de leurs officines et leurs perspectives, ainsi qu'un changement de génération, pour qui l’association au sein d’une officine de grande taille devient l’objectif. Dans les dernières années, environ 40 à 50 pharmacies se sont regroupées et c’est deux fois plus qu’il y a dix ans.
Quel est le profil des pharmacies susceptibles d'être regroupées selon vos observations ?
Catherine Baffos.- Il s’agit d’officines qui n’arrivent plus à atteindre une taille critique pour être viables, faire face à la concurrence, ni assurer les nouvelles missions. On peut y ajouter tous les pharmaciens qui souhaitent rompre leur solitude et retrouver un mode d’exercice solidaire avec un confrère proche ou encore les officinaux qui envisagent une transmission à moyen terme afin de regrouper des pharmacies voisines mais difficilement vendables individuellement. Il ne faut pas oublier les primo-accédants qui pourraient résoudre la problématique d’un faible apport en achetant pas trop cher deux pharmacies de proximité faciles à fusionner.
Quelles sont les conditions préalables à prendre en compte pour que le regroupement soit réussi ?
Catherine Baffos.- Il est clair que l’on ne peut pas envisager un regroupement en tant que pharmacien si on n'a pas une vision stratégique. Cette condition de base évidente doit s’accompagner d’une analyse très documentée des conditions démogéographiques locales. Il faut toujours se faire accompagner d’experts sur la question : avocats, notaires et experts-comptables. Une étude de marché, en cas de transfert sera certainement très utile.
Philippe Becker.- Ajoutons qu’il faut de la motivation car ce processus est long et complexe avec des déceptions parfois – mais c’est bien souvent le prix à payer pour réussir !
Quels sont les aspects juridiques qu’il faut maîtriser ?
Philippe Becker.- Le regroupement, c’est schématiquement la fusion de deux ou de plusieurs officines, qui se déroulera sur l’emplacement actuel de l’une ou l’autre ou, le cas échéant, sur un nouvel emplacement ; on parlera alors d’un regroupement transfert. Le regroupement peut être intercommunal ou extra-communal. Il suppose une surdensité d’officines dans la commune selon les règles du quorum. Un point important : le regroupement ne doit pas compromettre l’approvisionnement en médicaments des populations résidentes. Il faut aussi avoir à l’esprit que l’on continuera à compter les licences regroupées pendant 12 ans. Cette opération juridique ne doit pas être confondue avec la cession destruction lorsqu’un pharmacien quitte et vend son fonds à un ou plusieurs officinaux du même quartier. Dans le regroupement, il a fusion d’officines, mais aussi et surtout une volonté de travailler ensemble sur un site unique.
Justement en ce qui concerne l’emplacement de l’officine regroupée. Peut-on affirmer que la réussite de l'opération est souvent conditionnée par le transfert vers un nouveau lieu ?
Catherine Baffos.- Pas forcément. Je gère un dossier où les pharmaciens ont choisi l’emplacement d’une des officines car il s’imposait par sa meilleure exposition commerciale, donc il ne faut pas généraliser. Il est vrai que dans beaucoup de cas le transfert a lieu dans un meilleur emplacement car les deux officines ne sont plus au bon endroit. En effet, dans les communes, les facteurs d’attractivité changent vite et il faut s’adapter. Dans un tel cas si le transfert est l’élément stratégique de la décision, il faudra prendre beaucoup de précautions et faire une analyse pertinente pour trouver un bon endroit sans faire la révolution dans la commune. C’est parfois compliqué, mais c’est aussi la condition de la survie…
Philippe Becker.- Sur l’emplacement, l’ARS est l’instance de contrôle qui fera respecter les prescriptions posées par l’article 5125-3 du code de la santé publique, tout particulièrement sur le critère de l’offre de soins sur le territoire concerné. Il n’est pas non plus inutile de se poser la question des potentiels recours que pourraient exercer des confrères qui jugeraient la décision favorable de l’ARS non conforme au texte mentionné.
Selon vos propres observations, quels sont les principaux freins qui subsistent aujourd’hui et qui bloquent le développement de ces fusions ?
Philippe Becker.- Sans être exhaustif, on peut évoquer la difficulté à s’imaginer travailler avec son plus proche concurrent, le coût et la complexité de l’opération ou encore la crainte de la réaction des clients et des salariés. À ce propos, conformément au droit du travail, l'ensemble des salariés des officines devront être repris dans la nouvelle unité. Le regroupement n'est pas un motif de restructuration.
Catherine Baffos.- On peut ajouter les choix organisationnels qui s’analysent souvent comme une perte de liberté : quel grossiste, quel génériqueur ou quel logiciel va-t-on choisir ?
Quels sont, en conclusion, les atouts d’un regroupement réussi ?
Catherine Baffos.- Tout d’abord, il faut être conscient que 1 plus 1 ne feront pas immédiatement 2, voire plus. La patience sera nécessaire. Au-delà de cette remarque, les officinaux peuvent attendre une performance supérieure en matière d’activité avec un développement d’offres supplémentaires, ils auront une capacité à réaliser les nouvelles missions et aussi à mieux négocier leurs achats. S’il y a transfert sur un nouveau site, ils pourront présenter un meilleur accueil et une meilleure organisation du travail. Il va de soi qu’un regroupement vise à faire des économies de frais généraux substantielles, ce qui engendrera une rentabilité plus forte et une position financière plus saine à moyen terme.
Philippe Becker.- Nous constatons également, et c’est important de le souligner, que c’est aussi un moyen de motiver les titulaires et leurs équipes sur un nouveau projet. À long terme la nouvelle officine issue de cette fusion dégagera un chiffre d’affaires plus important, et de ce fait sa revente sera facilitée.
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