LA DERNIÈRE grande réforme législative intervenue pour les regroupements d’officines date du début de l’année 2008. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 a, en effet, autorisé les regroupements sans limitation de nombre et de périmètre géographique, et, surtout, a institué un dispositif de sauvegarde pour les pharmaciens regroupés : le gel des licences libérées par cette opération garantit aux pharmaciens regroupés, pendant cinq ans, de ne pas voir s’installer dans leur commune de nouvelle officine supplémentaire, tant que le quota de population normalement nécessaire n’est pas atteint. En outre, au terme du délai de cinq ans, la levée du gel n’est pas automatique, mais doit être prononcée par le préfet après une étude de l’évolution de la population locale et une consultation des syndicats et de l’Ordre.
Par exemple, après un regroupement de deux officines dans une même commune ou dans des communes limitrophes, une nouvelle licence est attribuée à la pharmacie issue de l’opération, et les deux autres sont rapportées à la préfecture. Mais ces dernières continuent d’être comptabilisées dans le calcul des quotas de population requis pour l’installation d’une nouvelle officine, en plus de la nouvelle licence. Les créations étant devenues exceptionnelles, les pharmaciens regroupés sont ainsi théoriquement protégés de tout transfert à proximité pendant au moins cinq ans.
« C’est un des principaux intérêts de cette opération, autant que l’addition des clientèles et des chiffres d’affaire », explique Éric Thiébaut, avocat associé du cabinet JurisPharma et spécialiste de ces questions. Attention toutefois car ce mode de calcul des licences gelées pourrait être modifié. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011 avait déjà prévu de ne comptabiliser que le nombre de licences correspondant au nombre d’officines regroupées, en excluant du calcul la licence de la pharmacie issue du regroupement. Cette disposition a été invalidée par le conseil constitutionnel. Mais un amendement a été tout récemment déposé à l’occasion de la discussion de la loi Fourcade sur l’hôpital, contre l’avis du gouvernement, il est vrai. Cet amendement prévoit que « le nombre de licences prises en compte pour l’application des conditions prévues à l’issue d’un regroupement d’officines est le nombre d’officines regroupées ».
Même si cette disposition a peu de chances d’être adoptée, elle continue donc de faire débat.
Conditions requises.
Malgré l’avantage procuré par le gel des licences, les « vrais » regroupements ne connaissent pas, aujourd’hui, le succès escompté en 2008. Les raisons en sont multiples. Tout d’abord, même s’il n’y a pas, stricto sensu, de quotas de population à prendre en compte pour ouvrir droit à cette opération dans une même commune, les conditions d’attribution de la nouvelle licence restent strictes. Ainsi, si le regroupement, notamment, est effectué dans une autre commune, « il ne doit pas y avoir un abandon de la clientèle dans le quartier de départ et l’opération doit apporter une réponse optimale aux besoins en médicaments de la population dans le quartier d’accueil », précise Évelyne Allaire, du cabinet de conseil Présence et Innovations, à Neuilly-sur-Seine.
Par ailleurs, dans un « vrai » regroupement, les pharmaciens, qu’ils soient titulaires ou adjoints, doivent travailler ensemble dans la nouvelle officine et respecter le nombre d’adjoints prévus en fonction du chiffre d’affaires. Enfin, sauf cas de force majeure constaté par le préfet du département, l’officine regroupée ne peut pas être transférée avant l’expiration d’un délai de cinq ans, mais elle peut faire l’objet d’une cession partielle ou totale avant le terme de ce délai (nouvel article L.5125-7 du code de la santé publique).
En pratique, l’autorisation de regroupement doit être demandée au directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) où l’exploitation est envisagée. Le directeur de l’ARS transmet ensuite, pour avis, le dossier au préfet du département, au conseil régional ou au conseil central de la section E de l’Ordre national des pharmaciens, ainsi qu’aux syndicats représentatifs. À défaut de réponse dans un délai de deux mois, leur avis est réputé rendu et, à défaut de réponse du directeur de l’ARS dans un délai de quatre mois à compter de l’enregistrement de la demande, le regroupement est considéré comme rejeté.
« Au total, une procédure normale de regroupement jusqu’à l’obtention de l’arrêté préfectoral dure six mois en moyenne si tout se passe bien », indique Annie Cohen-Wacrenier, avocate spécialisée en droit pharmaceutique à Paris. Mais cette procédure peut être allongée lorsque le regroupement a lieu dans un nouvel endroit distinct de celui des officines d’origine, puisqu’il faut dans ce cas justifier d’un local répondant aux normes prescrites par les textes. Il en est de même si ce sont des sociétés d’officines qui se regroupent, puisqu’il faut alors former une nouvelle société après la fusion des précédentes, rédiger des statuts et prévoir une nouvelle répartition du capital.
Regroupement et cession.
Toutefois, si la procédure normale du regroupement doit normalement permettre à deux ou trois officines en surnombre dans leur quartier d’unir leurs clientèles pour n’en former plus qu’une seule et accroître ainsi le chiffre d’affaires, elle est en fait de plus en plus utilisée, aujourd’hui, en vue de la cession du fonds. C’est par exemple ce qu’a réalisé, en 2010, Jean Schmidt, titulaire de la pharmacie Cosmo, en plein centre de Belfort. En quatre mois, il a obtenu une licence de regroupement avec une autre officine, située juste en face de la sienne, puis il a racheté le fonds de cette officine à sa titulaire qui est partie s’installer ailleurs. Aujourd’hui, il est donc devenu le seul titulaire de la nouvelle officine, exploitée en SELURL.
Assuré pendant au moins cinq ans, grâce au gel de la licence rendue, de ne pas voir un transfert s’effectuer à proximité, Jean Schmidt estime que cette opération a été très intéressante pour lui. « Nos deux pharmacies n’avaient pas une taille critique suffisante pour vivre correctement. Le regroupement m’a permis de récupérer 80 % de la clientèle de l’autre pharmacie, et j’ai repris les deux préparatrices qui y travaillaient afin que les patients puissent continuer de voir des visages connus », explique-t-il.
Selon les avocats spécialisés, ce type d’opération est devenu assez fréquent, et constitue même la majorité des regroupements actuels, l’avantage pour le pharmacien qui rachète le fonds après l’obtention de la nouvelle licence étant de bénéficier du gel des licences rendues. « Ces regroupements-cessions devraient continuer de se développer avec l’augmentation des départs à la retraite dans les prochaines années », indique maître Annie Cohen-Wacrenier. « En pratique, dans un tel cas, la cession a lieu sous condition suspensive de l’obtention de la licence de regroupement. Après la cession, le pharmacien qui continue à exploiter demande un nouvel arrêté d’exploitation », précise pour sa part Évelyne Allaire.
Un détournement de la loi ? Non, puisque l’acquisition d’une officine issue d’un regroupement récent est juridiquement possible, bien qu’il demande une certaine vigilance quant à l’appréciation de la réalité du chiffre d’affaires. Mais une utilisation astucieuse de la loi, certainement. Attention toutefois : le gel des licences pendant cinq ans ne s’applique que si le regroupement a lieu dans une même commune ou dans une commune limitrophe des deux officines regroupées. Lorsque plusieurs officines, situées à proximité les unes des autres, mais séparées par une commune, veulent se regrouper, la sécurité du gel des licences ne joue donc pas.
« Les vrais regroupements, quant à eux, ne pourront effectivement se développer que lorsque des mesures fiscales incitatives auront été mises en place », insiste Évelyne Allaire. Il est vrai qu’ils nécessitent une préparation importante et des frais souvent élevés : le choix de l’emplacement, le coût de l’audit et des études préalables, la création d’une nouvelle société, les travaux d’aménagement…, tout cela demande du temps et de l’argent. En outre, le regroupement implique une fusion des officines et de nombreux titulaires préfèrent rester maîtres chez eux plutôt que de s’associer à un confrère local avec qui, par définition, ils étaient jusqu’alors en concurrence…
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion