« QUI SE SOUVIENT encore que Mathis fut le quatrième constructeur français, derrière Citroën, Renault et Peugeot, mais aussi le premier employeur de la région de Strasbourg ? » Lorsqu’on écoute Pierre Haas faire une conférence sur l’industriel Émile Mathis, on mesure à la fois l’importance historique de ce dernier, mais aussi la vanité des entreprises humaines. Né en 1880, ce mécanicien de génie, ami d’Ettore Bugatti et de tous les grands noms de l’automobile de son temps, connut son heure de gloire dans l’entre-deux-guerres, en produisant plusieurs gammes de voitures, petites ou luxueuses, mais aussi des camions, des autobus et des moteurs d’avion, tant à Strasbourg qu’en région parisienne. Il construisit à Strasbourg, au début des années trente, la chaîne de fabrication de voitures la plus longue et la plus moderne d’Europe, mais il préféra, pendant la dernière guerre, en livrer les plans aux Alliés pour que ceux-ci la bombardent, plutôt que de la voir fabriquer des moteurs d’avions pour les Allemands qui l’avaient réquisitionnée. Lui-même réfugié aux États-Unis, il y ouvrit une usine qui produisit plusieurs centaines de millions d’obus. Rentré en France à la Libération, il ne parviendra toutefois pas à y relancer ses activités, malgré la mise au point de deux nouvelles voitures révolutionnaires, la « 333 » et la « 666 ». Il se retire alors progressivement des affaires et meurt accidentellement en 1956, en tombant du balcon de l’hôtel de Genève où il séjournait.
La marque à la flamme.
Aujourd’hui, la mémoire de Mathis, mort sans descendance, reste entretenue par quelques passionnés, attirés autant par ses prouesses techniques que par sa personnalité originale et haute en couleur. « Mes parents possédaient une Mathis, et ont même traversé les Alpes suisses avec, ce qui était une performance avant la guerre », explique Pierre Haas, au milieu de ses livres et de ses maquettes. Lui-même attendra 1990 pour s’offrir à son tour une Mathis : il s’agit d’une EMY 4 de 1933, dénichée dans un triste état et entièrement rénovée par ses soins, avec laquelle il effectue souvent des rallyes de voitures anciennes, tout en participant bien sûr aux sorties organisées par le Club des Amis de Mathis.
S’il se défend d’être l’historien officiel de la firme, Pierre Haas n’en accepte pas moins, dès qu’on le lui demande, de parler de sa passion et de faire revivre, le temps d’une conférence, la gloire de la marque à la flamme, emblème apparu dans les années vingt sur les calandres de ces voitures. « Souvent, ajoute-t-il, des gens viennent me voir pour me raconter, par exemple, que leur père avait travaillé chez Mathis, ou bien en avait possédé une. » Les différents modèles de voitures qui sortaient des chaînes de l’usine de la Meinau se distinguaient toutes par leur esprit d’innovation, mais la créativité d’Émile Mathis dépassait largement le seul cadre automobile : il conçut, par exemple, un moteur d’avion à 42 cylindres, destiné aux gros-porteurs, mais dont la fabrication fut rendue obsolète, après 1945, par l’arrivée des avions à réaction. L’industriel, qui menait grand train et ne parlait de lui qu’à la troisième personne, se partageait entre Strasbourg, Paris et les États-Unis. Il avait aussi, rappelle Pierre Haas, un sens aigu du marketing et de la publicité, et s’arrangeait pour que le nom de sa société apparaisse partout… même sur des assiettes en porcelaine peinte, aujourd’hui très recherchées des amateurs. « S’intéresser à Mathis, c’est vraiment redécouvrir toute une époque », conclut Pierre Haas avec un sourire, avant de remettre en marche sa Mathis bleue, qui piaffe comme lui d’impatience en attendant de participer à la prochaine rencontre des amateurs de la marque, qui doit les emmener cette année à travers le Berry. Dans sa vie quotidienne, comme pour aller à son officine, il utilise cependant une Citroën récente un peu plus conventionnelle… même s’il possède aussi une Traction d’avant-guerre, dont il assura toute la restauration.
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