« LA CAISSE primaire prend les pharmaciens en otages, et ce n’est pas acceptable », assène Thierry Boucher, pharmacien à Avion (Pas-de-Calais), responsable syndical et président de la commission paritaire locale. En cause, un dysfonctionnement de la CPAM de l’Artois, et/ou de l’agence régionale de santé (ARS) Nord-Pas-de-Calais, dont sont victimes les pharmaciens. C’est d’une consœur d’Arras (qui demande à conserver l’anonymat) que sont venues les premières réclamations : la caisse primaire refusait le remboursement des tiers payants de délivrances sur ordonnances d’un médecin d’Achicourt, une commune attenante à Arras. Sans explication.
Sitôt informé, le 23 octobre 2014, Thierry Boucher contacte la CPAM, où on lui confirme l’interdiction d’exercer qui frappe ce médecin généraliste, depuis le 3 octobre et pour cinq mois. On fait aussi savoir au président de la commission paritaire que l’information n’est pas officielle, que les pharmaciens doivent rester discrets. Le médecin indélicat a en effet continué de prescrire, après et malgré sa suspension. D’où les refus de remboursements.
Une ardoise de 1 600 euros.
« Mon ardoise se monte à 1 600 euros, précise Michel Gomet, pharmacien à Achicourt. J’ai envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception à Damien Maurice, directeur de la CPAM. Depuis mi-décembre, je n’ai eu, à ce jour, aucune réponse. Je sais aussi que des malades sont très mécontents, puisqu’ils ne sont pas non plus remboursés de leur consultation. » Et sans doute pas plus par leur mutuelle.
« Beaucoup de mes clients sont patients chez ce médecin, qui est un gros prescripteur de mon officine, confirme Martine Fievet, également à Achicourt. Je n’ai pas été informée par l’ARS, mais prévenue par un confrère. Je suis entrée en contact avec la caisse primaire, ainsi qu’avec l’Ordre des médecins, qui m’ont confirmé la suspension. Mais je suis sûre que la caisse primaire fera les remboursements. »
« Je suis moins concerné, précise Bernard Vausselin, autre pharmacien d’Achicourt, car ce médecin ne compte que pour un, sur les soixante-dix médecins avec qui nous travaillons. Sur quinze jours, nous avons eu douze rejets suite aux délivrances fournies sur les ordonnances qu’il avait prescrites. »
Désinvolture.
Le mutisme de la CPAM de l’Artois à propos de cette suspension ne concerne pas les seuls pharmaciens. Sont aussi touchés les infirmiers, les kinésithérapeutes, laboratoires d’analyses, etc. Et, bien sûr, les patients eux-mêmes. Plusieurs centaines d’actes en tous genres, puisque le médecin a au moins continué d’exercer du 3 au 23 octobre.
Ce qui fait surtout bondir Thierry Boucher, c’est la désinvolture avec laquelle sont traités les professionnels de santé, dont les pharmaciens. À compter du 23 octobre, il a envoyé courriel sur courriel au directeur de la caisse primaire, comme à la pharmacienne inspectrice de l’ARS, Mme Maryse Pandolfo. Du premier, il n’a pour le moment pas eu de réponse. La seconde a fini par envoyer, le 8 décembre, un courriel aux pharmaciens du secteur, où figure l’arrêté de suspension, sans autre formule, fut-ce de politesse.
Qui paiera ?
« Qui paiera les remboursements ? s’interroge Thierry Boucher. Qu’en est-il pour les patients, doivent-ils aller chez un autre médecin, pour obtenir une nouvelle prescription ? Nous ne sommes pas gênés par un retard, mais plus de trois mois après, nous ne savons rien. Des pharmaciens ont des impayés depuis octobre, certains peuvent être en difficulté. »
Contactées, l’agence régionale de santé Nord-Pas-de-Calais et la caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) ont fait parvenir, le 15 janvier, les commentaires suivants. Selon l’ARS, « l’arrêté de suspension a pris effet le 2 octobre 2014. Il a été diffusé auprès des services de la préfecture, du conseil régional de l’Ordre des médecins, et de la CPAM concernée. Dès que l’ARS a eu connaissance du non-respect de l’arrêté de suspension, et donc de la prescription de médicaments, elle a informé immédiatement les pharmaciens, le 5 décembre 2014. Il est important de souligner qu’il s’agit là d’une situation exceptionnelle ».
De son côté, la CNAM précise « qu’un exécutant de bonne foi ne peut se voir opposer le caractère invalide des prescriptions émises par un médecin, dans la mesure où l’interdiction d’exercice n’est pas connue au moment de l’exécution de ses prescriptions. Dans ces situations, l’assurance-maladie rembourse aux exécutants les prestations servies dans le cadre du tiers payant tout en les informant qu’à l’avenir ce ne sera plus le cas du fait de l’information faite à leur endroit [...]. La caisse primaire de l’Artois a l’intention de procéder au règlement aux pharmaciens des factures relatives à ces prescriptions. Les pharmacies recevront le paiement de leurs factures au plus tard le 23 janvier 2015. Néanmoins, les factures issues de prescriptions dont l’exécution apparaît non conforme à la réglementation ne seront pas réglées ».
Le syndicat départemental a tenu une réunion début janvier, et une nouvelle lettre a été envoyée à la CPAM de l’Artois. « Nous ne nous en tiendrons pas là, avertit Thierry Boucher. Le syndicat est disposé à saisir la caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), et nous poursuivrons au tribunal des affaires sociales, si nécessaire. »
Légende photo (JG) Pour Thierry Boucher, les tiers payants doivent être remboursés, ou bien le syndicat poursuivra en justice
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