À dix jours de l'ouverture du débat parlementaire sur la Loi santé*, les représentants de la profession abattent leurs dernières cartes. Auditionnée courant février par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, l’Élysée et les ministères concernés, la profession – Ordre, syndicats et étudiants — a fait la liste de ses revendications. Ses objectifs ? Faire avancer la dispensation du médicament en même temps que l’économie officinale et l’organisation des soins non programmés.
Des revendications dont certaines ont toutes les chances d’aboutir tant le terrain politique semble désormais mûr pour de telles avancées.
La dispensation protocolisée
Proposition phare des pharmaciens, la dispensation protocolisée (ou prescription pharmaceutique). Elle fait l’unanimité au sein des représentants de la profession et doit être reprise, sous forme d’amendement, par Thomas Mesnier, médecin, député et rapporteur général de la loi santé. Il s’agit d’habiliter les pharmaciens à dispenser, en cas d’urgence et de manière très encadrée, des médicaments adaptés à la prise en charge de pathologies bénignes spécifiques : cystites, conjonctivites, rhinites, eczéma…
La liste reste encore à définir. Tout comme les modalités de mise en œuvre. « Des pistes sont à étudier, il en est de même pour le périmètre de cette dispensation sous protocole », déclare Philippe Besset, vice-président de la Fédération nationale des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), suggère, par ailleurs, une prise en charge de cette dispensation par les assurances santé complémentaires « afin d’assurer une égalité entre les patients et les territoires ».
La question de la rémunération du pharmacien n'est, pour l’instant, pas à l’ordre du jour. Une chose en revanche est sûre, la dispensation sous protocole sera intégrée au sein du parcours de soins. « Le pharmacien sera, en tout état de cause, aidé par un arbre décisionnel élaboré en coopération avec les médecins et les sociétés savantes », expose Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP). Elle insiste sur la volonté du CNOP de faire avancer ce dossier en concertation avec le Conseil national de l'Ordre des médecins. Interrogé par « le Quotidien du pharmacien », celui-ci juge qu'il est encore prématuré de s’exprimer sur le sujet. MG France, syndicat majoritaire des médecins généralistes, oppose quant à lui un refus catégorique au projet.
Il est vrai que la dispensation protocolisée a déjà essuyé un sérieux revers à l’automne dernier à l’occasion de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS 2019), sous la pression des médecins. Tout comme en janvier, alors qu'elle était présentée sous forme d'amendement par le député Guillaume Garot.
Mais le vent pourrait tourner. La dispensation sous protocole a désormais, selon les observateurs, de bonnes chances de passer le cap de la loi santé grâce au soutien de la majorité.
Enrichir la pratique officinale
D'autres amendements visent également à garantir la dispensation du médicament et à élargir les missions du pharmacien.
• Agir face aux ruptures de stocks
La FSPF remet sur la table la possibilité de permettre au pharmacien d’interchanger les médicaments en cas de ruptures de stocks. Le syndicat est rejoint en cela par l’Association nationale des étudiants de France (ANEPF) qui suggère « d’élargir les possibilités de substitution de classe par le pharmacien en cas de rupture majeure établie par les autorités ». Il reviendrait à ces dernières de déterminer les traitements que les pharmaciens seraient autorisés à substituer.
• Rembourser la substitution nicotinique
La FSPF propose que, à l’instar des prescriptions de substituts nicotiniques par les kinésithérapeutes et les sages-femmes, les dispensations de ces produits par le pharmacien soient également prises en charge par l'assurance-maladie.
• Compléter le statut du pharmacien correspondant
Remis au goût du jour par la LFSS 2019, le statut du pharmacien correspondant doit être revisité, estime l’USPO. Le syndicat réclame en effet que ce statut actuellement au stade expérimental soit généralisé et que, dans le cadre des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), il bénéficie aux patients chroniques dont l’état est stabilisé (hypertendus, diabétiques…).
• Renforcer le dépistage par les TROD
L’ANEPF estime opportun de faciliter l’accès au dépistage précoce grâce aux tests rapides d'orientation diagnostique (TROD). Soit en permettant législativement les pharmaciens d’officine d'accompagner les patients dans la réalisation d’un TROD (VIH, hépatite C). Soit dans le cadre de la lutte contre l’antibiorésistance, d'autoriser le pharmacien à réaliser des TROD angine « afin d’homogénéiser les habitudes de prescription et de dispensation des antibiotiques sur le territoire de façon sécurisée. »
• Élargir le télésoin
Le télésoin, prévu à l’article 13 du projet de loi santé, doit pouvoir concerner, selon l’USPO, tous les patients à domicile qui auront besoin, via un entretien par téléconférence, du conseil de leur pharmacien ou d’une évaluation de leur traitement. Cet acte sera réalisé par le pharmacien à la condition, précise le syndicat qui réclame une modification du texte, que ce patient ait déjà bénéficié d’un entretien pharmaceutique (AVK…) ou d’un bilan partagé de médication. Une revendication également portée par la FSPF qui dénonce les restrictions dans le projet de loi.
• Aller plus loin que la vaccination antigrippale
Les pharmaciens doivent pouvoir administrer le vaccin contre la grippe sans distinction, et sans ordonnance, revendique l’USPO, que celui-ci soit à prescription médicale facultative ou obligatoire (PMF ou PMO). « Car que ferait-on si un nouveau vaccin tétravalent à PMO recevait une AMM européenne ? », s’interroge Gilles Bonnefond.
Au-delà de la vaccination antigrippale, l’ANEPF réclame que les pharmaciens puissent être mobilisés « en cas de couverture vaccinale en deçà des préconisations des autorités de santé, comme cela est le cas actuellement en France pour la rougeole ou le papillomavirus ». Un argumentaire fondé sur l'exemple, les étudiants rappellent en effet que cette modalité est déjà prévue dans certains pays européens, comme la Suisse ou la Grande-Bretagne.
Mieux structurer l'officine
Deux autres amendements ambitionnent de bousculer les bases réglementaires et capitalistiques de l'officine.
• Revoir le seuil d’embauche des adjoints
Les deux syndicats représentatifs de la profession tombent d'accord pour proposer de reconsidérer les règles qui fixent le seuil d’embauche d’un adjoint.
Aujourd’hui, un nouvel adjoint est nécessaire à chaque fois que l'officine franchit un seuil de 1,3 million d'euros de chiffre d’affaires supplémentaire. Cette règle pénalise notamment les pharmacies dispensant des médicaments onéreux, de plus en plus nombreux. Selon les estimations de l’USPO, 600 officines se trouveraient ainsi dans une situation financière périlleuse. « Il suffit de deux ou trois patients pour faire dépasser ce seuil, et ce sans la garantie que ces patients resteront à l’officine », observe Gilles Bonnefond, président de l’USPO, qui n'accepte pas que cette évolution mette en difficulté certaines officines. Ni voir des patients exclus pour ces raisons.
Voilà pourquoi l’USPO et la FSPF veulent « neutraliser » l’effet prix de ces médicaments. Selon eux, seule la partie du prix bénéficiant d'une marge devrait être prise en compte dans le calcul du chiffre d'affaires. Gilles Bonnefond précise que les éditeurs de logiciel sont tout à fait en mesure d’extraire du chiffre d’affaires la part réalisée par ces médicaments au-delà de 1 600 euros et qui ne génère aucune marge. Ce delta pourrait alors être communiqué aux ARS de manière dématérialisée. Philippe Besset, vice-président de la FSPF, précise cependant que cette adaptation ne vise bien sûr pas à jeter l’opprobre sur les médicaments chers, ni à les exclure.
• Interdire les obligations convertibles en actions
La FSPF souhaite voir supprimer le financement des officines par des obligations convertibles en actions (OCA). Une disposition déjà envisagée par le gouvernement dans le cadre de l’ordonnance réseau mais qui avait été rejetée par le Conseil d’État. Celui-ci estimait que l’État avait outrepassé ses prérogatives.
Le syndicat revient d'autant plus à la charge qu'il existe des alternatives dans le financement à l'installation des jeunes. Selon Philippe Besset, son vice-président, les parlementaires, et notamment la Commission des affaires sociales, seraient très attentifs à cette proposition d'amendement.
* Loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion