ROSSLARE est un port moderne perdu à l’extrémité de la baie de Wexford. Les bateaux débarquent ici les passagers venus d’Europe avec la promesse de découvrir « la région la plus ensoleillée d’Irlande ». Mais, ici, la météo n’existe pas ; les Irlandais le savent. Quand les moutons descendent les collines, ils jouent leur rôle de baromètres vivants en promettant une belle averse. Les moutons ne se trompent jamais. Aujourd’hui, la région semble un peu décoiffée sous les rafales venues du nord-ouest. Le vent a lavé le ciel, la voûte est d’un bleu intense. La campagne s’est mise dans les habits rutilants de la Méditerranée ; les boutons de jonquille s’ouvrent en quelques heures. Dans les villes, les briques éclatent de vermillon, les cuivres explosent, les laques multicolores vibrent d’une rue à l’autre.
Pourtant, ce pays ne mérite que les brumes de Turner et les ténèbres chargées de Vlaminck ; les éclats de lumière et les pluies fines qui donnent aux jeunes filles un teint joyeux. Mêmes les phares qui annoncent les écueils noyés dans la brume semblent inutiles. On pique-nique sur un gazon piqueté de marguerites au pied du plus célèbre d’entre eux, planté à Hook Head. Un monument historique. Le plus ancien d’Irlande, l’un des plus vieux d’Europe, il date du XIIIe siècle et signale Waterford et la baie des trois rivières sœurs. The Three Sisters sont trois fleuves qui irriguent la région. Le Barrow prend sa source du côté de Tipperary, les deux autres confluent à New Ross, une ville historique fondée à la fin du XIIe siècle. À l’origine, elle était protégée par une ceinture de muraille de près de 2 km capable d’accueillir plus de 5 000 archers et cavaliers. Une seule porte subsiste, celle qui porte la trace des trois boulets laissés par l’abominable Cromwell. Mais l’ancienne cité médiévale est aussi la patrie de la famille Kennedy. C’est ainsi que la fondation John F. Kennedy a largement financé le Dunbrody, un trois-mâts barque à coque de bois amarré sur les quais de la ville. Ce bâtiment, qui est la réplique du Dunbrody construit à Québec en 1845, fut achevé en 2000 dans le chantier naval de la Ross Company Boatyard. C’est un symbole : il servait au transport de passagers – souvent des migrants qui voulaient fuir la Grande Famine – vers le Canada et les États-Unis.
Priorité aux rêveurs.
Ainsi, l’histoire a laissé des traces un peu partout. Au nord de la rivière Nore, Kilkenny était au Moyen Âge le siège du parlement anglais. Son nom rappelle de mauvais souvenirs car le roi d’Angleterre fit adopter les statuts de Kilkenny qui interdisaient aux Anglais le mariage avec les indigènes ainsi que la pratique de leur langue et de leurs coutumes. Aujourd’hui, la ville déploie son importance autour d’un château occupé pendant cinq siècles par la puissante famille Butler. Cette solide demeure néogothique bâtie au temps de Victoria sur des murailles médiévales est l’une des plus visitées du pays. Autant de pièces que de jours de l’année ; une immense Long Gallery pour accueillir la fabuleuse collection de peintures des Butler ; des grands plafonds ornés de motifs préraphaélites ; un parc à la française. Bref, tout ce qu’il faut pour ruiner une honnête famille. Si bien qu’Arthur Butler, 6e marquis et 24e comte d’Ormonde, finit par jeter l’éponge en 1967 et céder le château à l’État.
Comme dans toutes les régions d’Irlande, les routes font tant de détours que la surprise surgit à chaque instant. Mais l’un des grands mystères de ce pays qui ne ressemble à aucun autre est qu’il nous semble toujours familier. Un code du laisser-vivre beaucoup plus ancien que le code de la route accorde toujours la priorité aux rêveurs et aux animaux. Ces derniers jouissent d’un droit de préséance qui était illustré par une admirable publicité. Sur l’affiche, un chemin mauve serpente entre les murs de pierres sèches et les variations du vert le plus acide et le plus tendre du monde. La légende dit qu’« ici, ce sont les ânes qui ont tracé la route, pas les polytechniciens ». Pour voyager ici, il faut faire comme les Irlandais. Se lever tard, ne pas trop se fixer de but et continuer, le soir, à se promener dans sa tête, dans les pubs. Ils sont faits pour ça.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion