De notre envoyé spécial
LA SUISSE compte 1750 officines, dont environ 40 % appartiennent à des chaînes : c’est le pays le plus libéral d’Europe dans ce domaine, puisqu’il n’existe ni monopole, ni numerus clausus, ni règles de propriétés, pas plus que de prix fixe du médicament. « Hormis les prescriptions, on trouve des médicaments partout, alors si les gens vont à la pharmacie, c’est vraiment pour y trouver un service qu’ils n’auront pas ailleurs », explique Michel Buchmann, pharmacien près de Fribourg et président, depuis l’an dernier, de la Fédération pharmaceutique internationale (FIP). Cet officinal passionné se bat pour améliorer les compétences des pharmaciens dans les nouvelles missions « pour lesquelles ils n’ont pas été formés à l’université, mais qui conditionneront leur avenir, et rappelle que rester isolé en se contentant de vendre des médicaments n’offre aucune perspective ». Il souligne notamment que « la non-observance entraîne le gaspillage d’au moins 50 % des médicaments prescrits », et que c’est sur ces thèmes-là que les pharmaciens doivent imposer leur rôle et leur compétence.
Pour toutes ces raisons, la Société suisse de pharmacie, PharmaSuisse, à la fois Ordre et syndicat, a développé de nombreuses initiatives en matière de qualité et de promotion de l’acte pharmaceutique. Ainsi, tous les patients disposent d’un dossier pharmaceutique, dont la tenue est rémunérée. Les pharmaciens touchent notamment 80 euros par an et par patient pour surveiller les dossiers de polymédication des patients prenant plus de quatre médicaments différents. Ils mènent de nombreux programmes de prévention et effectuent le dépistage de plusieurs maladies.
À terme, ils souhaitent devenir « les professionnels du premier recours », y compris en dispensant de véritables consultations, dont certaines, espère PharmaSuisse, seront bientôt prises en charge par les caisses de maladie. « Le pays manque de médecins généralistes, et nous sommes parfaitement capables de remplir certaines de leurs missions », expliquent sans détour les pharmaciens.
Rigueur accrue.
Il n’en reste pas moins que les pharmaciens font, comme ailleurs, les frais d’une rigueur accrue en matière de dépenses de santé. À défaut de Sécurité sociale nationale, celles-ci sont prises en charge par les assurances privées, qui se montrent redoutables pour faire baisser les coûts. Obligation de délivrer des génériques, contrôles sur les prescriptions, grands conditionnements et baisse des prix des médicaments, font désormais partie de la vie des pharmaciens. Lors du congrès d’Interlaken - une première en Suisse, où les congrès étaient jusqu’à présent régionaux - beaucoup de pharmaciens ont dénoncé « le triomphe du low cost et de la rentabilité immédiate, parfois au détriment de la sécurité ».
Bien que les 26 cantons suisses disposent de compétences très larges en matière de santé (les différences sont parfois considérables d’un canton à l’autre), tous s’accordent pour exiger des pharmaciens de plus en plus de nouvelles missions, mais ceux-ci peinent à trouver les financements indispensables pour les mettre en œuvre. Depuis 2001, ils sont rémunérés par un honoraire fixe complété par une petite marge. Si ce système a compensé les baisses de prix des médicaments, il n’a pas empêché la stagnation de leur pouvoir d’achat. Certes, admet Dominique Jordan, pharmacien à Sion, dans le Valais, et président de PharmaSuisse, « il n’y a pas de faillite ni de fermetures pour raison économique, mais je redoute que, comme c’est déjà le cas en Allemagne et en France, nos pharmacies n’aient simplement plus les moyens d’investir pour se moderniser et assurer leur avenir ».
Indépendants contre chaînes.
Outre les politiques de rigueur et le dossier très inquiétant des « dispensations » par les médecins (voir ci-dessous), les pharmaciens indépendants subissent aussi la concurrence toujours plus vive des chaînes, qui appartiennent, pour la plupart, à des grossistes ou à des droguistes et des parfumeurs. L’une d’entre elle, Sun Store, offre même 20 % de rabais sur les génériques aux adhérents de certaines assurances santé, à condition qu’ils se fournissent exclusivement dans les officines de la chaîne. Le combat est donc rude, mais les indépendants ne s’avouent pas vaincus : « À l’inverse des chaînes, explique par exemple Fabian Vaucher, installé à Buchs, en Argovie, je peux fidéliser ma clientèle, la suivre personnellement pendant des années, et cela compte pour nos clients, qui veulent du suivi et du service. »
Pour Dominique Jordan, « offrir 10 % de rabais, c’est aussi accepter de limiter son service », alors que l’avenir passe par la qualité. Pourtant, en Suisse comme ailleurs, les pharmaciens doivent tenir compte de cette équation rappelée par l’association des consommateurs romands : les clients veulent certes du service et de la qualité mais… ne sont pas prêts à payer pour cela. « Nous pouvons y répondre en rendant visible notre valeur ajoutée et en réorganisant nos coûts : on peut faire des économies sans consentir des rabais », répond M. Jordan, pour qui toute la stratégie des pharmaciens consiste à relever ce double défi. « Nous sommes beaucoup moins protégés par la loi que les Français ou les Allemands et nous sommes menacés de disparition si nous n’évoluons pas », reconnaissent les dirigeants de PharmaSuisse. Mais cette situation amène aussi les pharmaciens à se montrer beaucoup plus innovants et imaginatifs que par le passé. « L’époque où il suffisait de délivrer des boîtes est révolue, nous devons réinventer le métier de pharmacien pour avancer », rappellent-ils, bien décidés à poursuivre cette refondation qui conditionnera l’avenir de l’officine.
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