En 2017, 212 pharmaciens, soit 120 de plus qu’un an auparavant, ont déclaré en ligne une agression, verbale ou physique, sur le site du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP)*.
Bien qu’en nette augmentation, ces données restent hélas bien en deçà de la réalité. En effet, le taux d’agressions non déclarées à l’Ordre avoisinerait les 70 %, estime Alain Marcillac, titulaire à Châtillon (Hauts-de-Seine) et référent national pour la sécurité du CNOP, qui exhorte ses confrères « à déclarer à l’Ordre les agressions dont ils sont victimes. C’est seulement sur cette base que nous parviendrons à quantifier et à identifier les actes redondants dans certains secteurs. Et à traiter, de manière adéquate, les tendances qui se dégagent ».
Certains pharmaciens seraient-ils plus enclins que d’autres à communiquer sur les exactions, braquages, vandalisme, mais aussi injures et menaces, commises à leur égard ? La lecture des statistiques de l’Ordre le laisse penser. Des disparités apparaissent dans l’analyse des régions d'origine des déclarations. La Lorraine et la Bourgogne arrivent ainsi en tête : 2,6 % et 2,2 % de leurs officines ont été la cible d’une agression, pendant que leurs homologues d’Ile-de-France, du Nord-Pas-de-Calais ou encore de la région PACA-Corse n’étaient touchées que dans 0,7 %, 0,5 %, voire seulement 0,2 % des cas.
Certes, aucun élément ne permet d’établir avec certitude l’existence d’un biais dans ces statistiques. Pour autant, on peut s’interroger sur une éventuelle banalisation de ces actes qui conduirait certains titulaires à ne pas les déclarer. Cette « accoutumance », plutôt urbaine, pourrait également expliquer pourquoi, comme chaque année, la majorité des agressions déclarées (59 %) se concentre dans des villes de moins de 30 000 habitants.
En toute impunité
Si l'on fait abstraction de cette relativité, les statistiques à l'état « brut » tordent le cou à bien des idées reçues. Il paraît ainsi bien plus dangereux d’exercer à la campagne qu’en ville, dans une officine isolée qu’en centre commercial. « Plus des trois quarts des agressions déclarées en 2017 ont eu lieu en milieu rural et en périphérie des villes. Comme chaque année, les quatre cinquièmes de ces agressions visent des locaux indépendants », relève le bilan du CNOP.
Les malfrats ne craignent pas non plus d’agir au grand jour, contrairement à ce qu'on pourrait supposer. Dans trois cas sur quatre, les atteintes aux locaux, cambriolages ou tentatives (62 %) et vandalisme (38 %), sont en effet perpétrées pendant les heures d’ouverture de l’officine. La vidéosurveillance pas plus que la télésurveillance ne sont d’ailleurs des facteurs dissuasifs : 74 % des pharmaciens ayant déclaré une agression étaient équipés d’une vidéosurveillance ou d’un dispositif de télésurveillance. Comble de l'impudence des malfaiteurs : dans 54 % des cas, l’agression a eu lieu dans une commune dotée de caméras de vidéosurveillance.
Du reste, le risque d’être reconnu ne semble pas les freiner : 38 % des agressions ont lieu en présence d’autres clients dans la pharmacie. Autre preuve, s’il en faut, du caractère effronté des agresseurs : 46 % sont connus des pharmaciens, et dans plus de six cas sur dix, il s’agit de patients habituels.
Montée de l’incivisme
Ces derniers chiffres témoignent de la levée d’un tabou. Sûrs de leurs bons droits, ces patients n’hésitent pas à prendre à partie leur pharmacien. Avec violence s’il le faut. Car, alors que les stupéfiants ne constituent plus que 6 % des motifs d’agressions (19 % en 2014), et que l’attrait de la caisse recule (22 % des cas déclarés contre 39 % en 2014), plus de la moitié des agressions (contre 40 % en 2014) est aujourd’hui motivée par un refus de vente du pharmacien en raison d'une non-conformité des droits sociaux ou de l’ordonnance.
Alain Marcillac voit une preuve supplémentaire de la montée de l’incivisme des patients dans le taux de pharmaciens (12 %) ayant déclaré une agression alors qu’ils étaient de garde. « Le point de départ est une fausse ordonnance, une ordonnance périmée, des droits qui ne sont pas ouverts… Les patients refusent de comprendre que nous exerçons une profession réglementée », relève le référent national.
Injures gratuites, menaces… Mais aussi, dans un cas sur cinq, vols à main armée, soit 2 % de plus qu’en 2016. Signe d'une radicalisation des rapports entretenus avec les professionnels de santé : près de 10 % des agresseurs font usage d’une arme à feu, 9,3 % d’une arme blanche, d'un couteau ou d'un tournevis.
Face à cette recrudescence des actes violents et du durcissement des modus vivendi déjà observés au cours des dernières années (lire notre article « abonné »), la profession n’est pourtant pas démunie. Alain Marcillac remarque ainsi qu’un arsenal juridique existe bel et bien pour contrer ces phénomènes : le recours à l’article 433-3 du Code pénal, que les tribunaux appliquent de plus en plus fréquemment.
Conseil de l'ordinal à ses pairs : un simple rappel à la loi suffit parfois à désamorcer l’agressivité du patient.
* Sources : La sécurité des pharmaciens d’officine. Panorama 2017. 4 juillet 2018. CNOP.
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