Les pharmaciens parisiens ont éteint leur croix lundi à midi, à l’appel des trois syndicats unis dans un même geste de solidarité avec les victimes des attentats. Une soixantaine d’heures auparavant, la Capitale avait été prise sous les tirs des terroristes. Au moment des attaques, la plupart des officines avaient déjà fermé leurs rideaux.
À l’exception des vingt pharmacies ouvertes 24 heures/24, et parmi elles, la pharmacie de la place de la République, à mi-chemin entre le Bataclan et les cafés du 10e arrondissement. « Nous avons fait ce qu’il fallait », déclare Sébastien Arfeux, son titulaire, ne souhaitant pas en dire davantage sur les soins prodigués aux blessés et les soutiens apportés aux équipes de secours dépêchées sur place.
Des messages sur le répondeur
La parole se libère davantage dans les autres officines du quartier. « J’ai toujours eu l’habitude de parler et mes patients savent me trouver pour échanger. Je suis sûre que ça va aller mieux avec la parole », affirme Marie Clément, titulaire de la pharmacie du Cirque d’hiver, située non loin du passage emprunté par les assaillants du Bataclan.
Fermée à l’heure des attentats, l’officine n’a pas pu être réquisitionnée, ce sont les restaurants riverains qui ont servi de refuges pour soigner les victimes. « L’une d’entre elles est décédée au bas de chez moi », déclare la pharmacienne d’une voix encore nouée. Martine Fourneuf, titulaire de la pharmacie de Charonne, constate le même désarroi dans la population. « Ce lundi, les patients sont plus nombreux que d’habitude, ils entrent pour partager leurs sentiments, ils nous questionnent et veulent savoir si nous avons d’autres informations », décrit-elle.
Les patients de la pharmacie du Bataclan n’ont pas attendu la fin du week-end pour s’exprimer. Lundi après midi, Delphine Cohen vient à peine d’obtenir l’autorisation de rouvrir son officine incluse dans le périmètre de sécurisation de la salle de spectacle, que déjà elle ne compte plus les messages laissés sur son répondeur : « Mes patients s’inquiètent pour l’équipe, ils veulent avoir des nouvelles. » Face au drame qu’a vécu le quartier, la titulaire sait que, dans les prochains jours, elle devra plus que jamais recueillir la parole de ses patients.
Un dispositif à améliorer
Du côté du boulevard Voltaire, un calme apparent est revenu. Les pharmacies de ces arrondissements, qui avaient dû fermer durant le week-end afin de laisser le champ libre aux véhicules d’urgences, retrouvent peu à peu une activité normale. « La mairie de Paris ayant enjoint les Parisiens à rester chez eux samedi, beaucoup de titulaires ont reçu des appels de leur personnel s’enquérant de la conduite à tenir », explique Andrée Ivaldi, présidente du syndicat des pharmaciens de Paris (FSPF). Au cours du week-end, elle avait recommandé aux pharmacies ouvertes de baisser leurs rideaux à 21 heures et d’assurer le reste de la nuit « à volets fermés ».
Malgré l’efficacité des secours, ces dramatiques événements ont néanmoins fait apparaître un besoin de réorganisation de la permanence pharmaceutique. « Les fichiers qui nous avaient été transmis par l’ARS comportent des contacts erronés des pharmacies ouvertes 24 heures/24, de sorte qu’il m’a été très difficile de contacter les titulaires concernés », regrette Andrée Ivaldi, qui a profité de la cellule de crise réunie lundi après-midi avec l’ARS pour faire remonter ces dysfonctionnements. « Je pense que les trois syndicats devront prendre les choses en main afin d’assurer une meilleure communication à l’avenir », déclare-t-elle.
Les PUI font face
Les pharmaciens hospitaliers ont, quant à eux, assuré leur service dans les conditions prévues par leurs établissements. À l’hôpital Bichat, qui compte parmi les cinq hôpitaux inclus dans le Plan blanc de mobilisation maximale prévue en cas de crise, le pharmacien de la stérilisation a été réquisitionné pour faire face aux besoins du bloc opératoire.
« Dans ces circonstances, les pharmaciens de la stérilisation sont les premiers sur le pont afin de pouvoir faire face aux urgences chirurgicales. Vient ensuite la partie médicale où il revient aux pharmaciens de sécuriser le circuit du médicament », décrit le Pr Patrice Prognon, chef du service de la PUI de l’hôpital européen Georges-Pompidou. Dans cet établissement, deux pharmaciens de la stérilisation ainsi que deux agents ont été rappelés. « Je dois saluer leur performance car nous avons passé le cap sans encombre », se félicite Patrice Prognon présent sur les lieux avec un pharmacien d’astreinte lui aussi revenu sur le site.
Le service a pu également effectuer la garde du dimanche dans des conditions normales. « En ce qui concerne les stupéfiants, notre système d’armoires sécurisées dans chaque service a fait ses preuves puisque le stock prévu pour quinze jours a permis de passer le choc sans difficultés. Nous avons juste effectué un réapprovisionnement en casaques et compresses par mesure de prudence », indique Patrice Prognon. Il va sans dire qu’en cas de rupture de stock dans l’un des établissements, ses voisins seraient venus immédiatement en renfort. « C’est un principe éthique que, dans la profession, on s’entraide confraternellement », affirme le chef de service de la PUI.
Comme l’a rappelé Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, « que ce soit dans les hôpitaux, dans les officines ou dans les laboratoires d’analyses, la population endeuillée et les patients meurtris ont plus que jamais besoin de l’écoute, des conseils, du dévouement et du réconfort de leurs pharmaciens sur le terrain ». Elle a d’ailleurs immédiatement décidé d’annuler la Journée de l’Ordre prévue lundi, estimant que l’urgence devait se concentrer sur la population.
En première ligne pour s’occuper des victimes, la profession est aussi endeuillée. Une préparatrice en pharmacie est décédée dans l’une des attaques et une titulaire de Saint-Cyprien, en Dordogne, a perdu son fils dans la tuerie du Bataclan. Fluctuat nec mergitur.
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