LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Plusieurs études montrent une panne de croissance et une baisse de la rentabilité des pharmacies. En tant que partenaire des pharmaciens, faites-vous le même constat ?
CLAUDE CASTELLS.- Oui, bien sûr, quand un client souffre, son fournisseur souffre aussi. Nous partageons d’autant plus les inquiétudes des pharmaciens que nous sommes liés par une régulation commune de nos activités. Je veux rappeler aussi que lorsque nos clients souffrent, nous sommes amenés à les aider, même si nous le faisons discrètement. Dans ce contexte de difficultés économiques, nous comprenons les initiatives des officinaux telles les tentatives de regroupements, le débat sur les SEL, la dynamique des groupements… Tout cela est légitime. Par ailleurs, il y a de l’espoir. La loi HPST a reconnu aux pharmaciens de nouvelles missions qui, on peut l’espérer, seront valorisées un jour en terme de rémunération. Enfin, en tant que pharmacien, je voudrais faire un vœu, celui que la santé et la pharmacie ne soient pas uniquement considérées de façon comptable, même quand la situation économique est tendue.
Les pharmaciens peinent à se mettre d’accord sur le projet de décret sur les SEL et les sociétés de holdings (SPF-PL). Pensez-vous que la répartition pharmaceutique a sa place dans ces futurs modèles d’exploitation ?
Si l’on admet que la question du capital est une clé pour l’avenir de l’officine, elle est loin d’être la seule. Elle est même, à mes yeux, la moins importante. Il suffit en effet de considérer les autres axes que pourraient être, par exemple, des modifications dans les règles d’implantation des officines, ou celles concernant les règles liées à la communication des pharmaciens, ou encore les modes de régulation de la distribution des médicaments, pour augurer que ces pistes auront largement plus d’impact sur l’avenir de l’officine que la seule question de la propriété du capital. Cela dit, concernant les nouvelles structures juridiques (SPF-PL, holdings, N.D.L.R.), on peut comprendre que les officinaux aient envie de trouver des modes d’optimisation de leur organisation, mais ce n’est pas le rôle du répartiteur de porter un avis sur les méthodes envisagées. On nous prête des intentions qui ne sont pas les nôtres. Nous n’avons pas de rôle à jouer dans ces structures. Nous n’avons pas varié par rapport à cette position.
Quelle est votre position vis-à-vis des appels d’offres pour des contrats de distribution sélective ? Pensez-vous, comme Roselyne Bachelot, qu’ils représentent un danger pour les grossistes-répartiteurs en les fragilisant dans leur mission de service public ?
Commençons par rappeler que l’OCP est tout à fait apte à répondre à ce type d’appel d’offres, car le cahier des charges est compatible avec ses domaines de compétence. En tant qu’observateur, on peut comprendre qu’un exploitant de médicaments sensibles souhaite s’assurer que tous les distributeurs qui diffusent ses produits prennent des précautions adéquates. Cependant, on peut aussi s’étonner, comme la ministre l’a fait elle-même, qu’on laisse se dérouler un processus de sélection qui risque de déstructurer complètement le dispositif actuel. Car ce n’est pas parce qu’on touchera seulement 2,7 % du catalogue que cela n’impactera pas l’ensemble de la distribution en atteignant à ses principes essentiels. En particulier à la liberté de choix du fournisseur par le pharmacien. Et même jusqu’à la liberté de prescription du médecin. En effet, si l’on ne peut plus trouver tous les produits dans toutes les structures de répartition, l’officinal aura peut-être du mal à s’approvisionner, et donc le médecin sera quelque part un peu privé de sa liberté de prescription. Le risque est réel. À moins que, in fine, tous les opérateurs sérieux soient choisis. Voilà qui réglerait une partie du problème.
Comment se porte la répartition française ? Est-elle toujours en mesure d’assurer la même qualité de service sur l’ensemble du territoire ?
La répartition a toujours vécu dans un équilibre global fragile, mais stable, et elle subit aujourd’hui la crise comme l’officine. Malheureusement, tous les efforts de rationalisation qui ont été faits ces dernières années ont été gommés par des ouvertures de nouveaux opérateurs. Et à cela, se sont ajoutées les créations d’établissements des CERP qui, suite au rachat par Phénix de l’une des leurs, ont voulu reconstituer leur réseau. Tout ceci n’a pas permis une évolution économique sereine. Toutefois, les profondes évolutions des besoins inhérents aux produits et des moyens de notre métier ont fait que, paradoxalement, l’organisation de l’OCP, plus nationale que locale, très interconnectée, sécurisée, spécialisée, grâce à l’apport de nouvelles technologies, nous permet aujourd’hui de servir le client d’Aurillac aussi bien que celui de l’Ile de France. Nos interlocuteurs sont les pharmaciens, l’industrie et les pouvoirs publics. Afin de pouvoir les satisfaire tous les trois dans un contexte de grande évolution et de durcissement économique majeur, nous devrons sans doute regarder bientôt comment faire évoluer le mode de rémunération de notre profession.
Un groupe de travail s’est réuni, à l’initiative de la ministre de la Santé, pour réfléchir à la vente de médicaments sur Internet. Quelle est votre position sur ce délicat sujet ?
Internet est un sujet à multiples facettes. Rappelons qu’il s’agit de traduire une jurisprudence européenne de 2003 dans le droit français. Il ne faut pas perdre de vue que, quelle que soit la législation française, elle ne protégera pas des sites étrangers. La pharmacie peut-elle échapper totalement à ce média ? Toutefois, la proximité des officines en France fait que le besoin est beaucoup moins important chez nous que dans certains autres pays. Sur le fond, il se pose deux questions : la sécurité quant à la provenance des produits, avec les risques de contrefaçons, et le contact physique avec le professionnel de santé. Partant de là, soit Internet devient un système de réservation attaché à l’officine, soit il se résume à de la vente par correspondance. Ce sont là deux options différentes à considérer. On ne peut pas être opposé par principe à Internet, mais il faut répondre à ces questions.
D’une manière générale, quelle est la forme de concurrence qui vous inquiète le plus : les centrales d’achat ou les groupements ?
Le droit de substitution, puis la sortie de la réserve hospitalière, ont changé les règles du jeu. Nous sommes passés d’une activité de santé et de services à une activité marchande. Le générique a été un facteur d’explosion du direct, qui a amené l’essor des groupements. Les contrats directs entre les laboratoires et les officines sont légitimes. Mais à chacun son métier. Il faut quand même rappeler que le canal de la répartition est le moins cher de tous, que c’est de très loin le circuit le plus sûr, et, pour le pharmacien, le plus simple. Autour du produit, la répartition, apporte en outre tout un environnement de services. Si les fabricants poussent, voire forcent, les pharmaciens à faire du direct, nous aurons de plus en plus des approvisionnements hyperfragmentés. Si on change les règles, on changera alors de mode de distribution. On sélectionnera les produits, puis les clients. On arrivera alors à un modèle radicalement différent de celui d’aujourd’hui, proche de la distribution sélective dont nous parlions précédemment.
Quant aux groupements, leur développement a été plutôt positif pour l’officine. La question est de savoir s’ils ont vocation à faire de l’intégration verticale, à créer des plate-formes et à développer des activités logistiques, auquel cas ils deviendraient des concurrents sérieux, remettant en cause, là encore, l’organisation actuelle de la distribution.
Enfin, les centrales d’achat ne peuvent fonctionner, à mon sens, que si elles sont organisées par des acteurs industriels opérant dans les règles de l’art, si on veut garantir la sécurité de la chaîne. L’OCP va ainsi créer dans les semaines qui viennent sa propre centrale d’achat pour la médication officinale, offrant un maximum de garanties aux fabricants comme aux pharmaciens.
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