Bruno Pichon persiste et signe. Il y a plus de vingt ans, ce titulaire de Salleboeuf, une petite commune de l’Entre-deux-Mers, avait déjà défrayé la chronique parce qu’il s’opposait à la vente de contraceptifs.
Le 11 février dernier, il comparaissait en chambre disciplinaire, et deux semaines plus tard la Chambre régionale de l’Ordre des pharmaciens d’Aquitaine prononçait une semaine de suspension à son encontre.Cette fois, l’affaire porte sur son refus de délivrer des stérilets. Comme en 1995, le motif reste identique. Bruno Pichon, catholique convaincu, nommé coopérateur apostolique de sa région, en juin 2014, invoque des raisons religieuses. La plainte émane du Planning familial girondin, alerté par deux femmes auxquelles le titulaire aurait refusé de délivrer des contraceptifs prescrits par des médecins. Selon le Planning familial, deux de ses militantes, dépêchées sur les lieux pour un achat de stérilet et de pilule du lendemain, se sont vues opposer un refus catégorique. Cette méthode de camouflage est du reste contestée par des représentants de la profession, qui y voient la volonté de piéger les pharmaciens.
« Je ne délivre pas de stérilet »
Mais ce n’est pas tant les méthodes du Planning familial que récuse Bruno Pichon, que les faits, inexacts selon lui, relatés par la presse régionale, puis nationale. Le pharmacien est formel. Depuis sa condamnation précédente, il a toujours délivré des contraceptifs et des préservatifs « sur demande ». Il reconnaît en revanche : « Je ne délivre pas de stérilet. »
Le pharmacien, qui n’exclut pas un recours contre la décision de l’Ordre, affirme s’appuyer sur une jurisprudence, selon lui « utilisable ». Il n’en dira pas davantage et renvoie à son avocate versaillaise, Me Adeline Le Gouvello. La juriste, qui s’était illustrée dans le débat sur la Manif pour tous, reste injoignable.
Dans sa commune, le pharmacien ne fait pas l’unanimité. Marc Avinen, le maire du village, déclare sans ambages « Quelles que soient les convictions du pharmacien, il doit assurer la santé de tous les citoyens de la commune. N’oublions pas qu’il a le monopole du médicament et donc un service à rendre à ses concitoyens. Nous sommes dans un État de droit. »
Contemporain du pharmacien, Marc Avinen était déjà élu lors de l’affaire précédente. Il rappelle que le juge à l’époque « avait fait preuve d’habileté puisqu’il avait suspendu le permis de conduire du pharmacien ! » Une manière de rappeler que certains habitants de cette commune de 2 200 habitants peuvent se trouver embarrassés par les refus de vente du pharmacien. Aussi, le maire ne manque pas d’évoquer les inégalités d’accès aux soins qui sévissent dans sa commune par la faute du pharmacien. De là à évoquer le statut privilégié des pharmaciens et les dérives du monopole, il n’y a qu’un pas. Et une raison pour que le Conseil de l’Ordre régional (CROP) à l’origine de la suspension, prenne position. « Je ne suis effectivement pas d’accord pour que des considérations religieuses viennent interférer dans notre métier », déclare catégoriquement Pierre Béguerie, président du CROP d’Aquitaine. Il se dit gêné qu’un confrère oppose ses convictions religieuses pour refuser à une personne informée, une prescription émise par un gynécologue. Le pharmacien ne serait-il cependant qu’un simple exécutant ?
Libérer une conscience ligotée
Le président du CROP convient des difficultés résultant de l’absence d’une clause de conscience pour la profession. Les pharmaciens sont en effet les seuls professionnels de santé qui en sont dépourvus. Ce vide est vivement ressenti. À tel point qu’au cours de la consultation sur une refonte du code de déontologie, 85 % des pharmaciens se sont prononcés en faveur de la création d’une telle clause.
Cette grande majorité reflète un souhait de longue date des pharmaciens catholiques. « Quelles que soient nos options, on peut avoir des problèmes évidents de conscience. On ne peut demander à l’ensemble d’une profession d’avoir une conscience ligotée », martèle Jean-Philippe Delsart, président de l’Association française des pharmaciens catholiques (AFPC). Il souhaiterait même ouvrir le débat à ces « produits qui posent un problème au pharmacien » en raison de leur toxicité avérée ou de leurs effets secondaires et indésirables. Il invite l’État à trouver un équilibre entre le service de la communauté et la liberté des personnes, en l’occurrence des pharmaciens.
Solution létale
Comment éviter cependant que les états d’âme des pharmaciens ne servent de prétexte aux refus de vente ? Si une clause de conscience venait à voir le jour dans la profession, elle serait, de l’avis des instances ordinales, nécessairement très encadrée. Pierre Béguerie refuse ainsi que la clause de conscience implique que « chacun puisse pour des raisons religieuses ou sectaires, imposer son diktat au patient » Alain Delgutte, président de la section A, a la ferme intention de proposer au législateur un code de déontologie où la clause de conscience se conformerait à des règles strictes, à l’instar de celle des médecins qui doivent, dans tous les cas, s’assurer que le patient en détresse trouve un conseil auprès d’un autre confrère.
Jusqu’à présent soulevée par certains, dans le cadre de la contraception, l’éventualité d’une clause de conscience pour les pharmaciens prend une nouvelle dimension avec la loi sur la fin de vie.
De nouvelles questions affleurent désormais. De quelles latitudes disposera le pharmacien qui devra délivrer une solution létale à l’un de ses patients en Ehpad* ou à domicile ?
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