Suppression du juge d’instruction

L’achèvement de la réforme judiciaire

Publié le 12/01/2009
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Nicolas Sarkozy n’avait pas encore annoncé, devant la cour de Cassation, qu’il souhaitait supprimer le juge d’instruction et confier les enquêtes au Parquet que la profession judiciaire, dans un bel ensemble, s’élevait contre une nouvelle perte d’indépendance de la justice. Pourtant le chef de l’État n’a pas dit de quelle manière la justice serait conduite dorénavant dans les affaires pénales : le projet de loi n’est pas encore rédigé.

MALGRÉ TOUT CE QUE Rachida Dati, garde des Sceaux, a fait dans le chantier de la réforme de la justice, la suppression du juge d’instruction constitue la réforme la plus importante et la plus attendue. Aussi bien la réaction négative des magistrats dans leur ensemble est-elle surprenante. Ils auraient dû s’y attendre après plusieurs affaires qui ont secoué l’opinion, comme celle d’Outreau et, plus loin dans le passé, l’affaire Villemin (un modèle d’instruction complètement ratée) ou encore, tout récemment, la décision d’une juge d’envoyer chercher manu militari un journaliste impliqué dans un procès en diffamation. C’est peu dire que la nécessité d’un changement dans la procédure devenait urgente. Certes le juge d’instruction (ou la personne qui sera désignée pour conduire l’enquête) doit être indépendant, mais il ne saurait jouir de privilèges exorbitants comme celui de mettre en détention pendant six mois ou plus une personne reconnue plus tard comme innocente.

Rappelez-vous Outreau.

Le problème à résoudre est grave parce que certaines instructions, et pas des moindres, ont tout simplement bafoué la justice. Comment des magistrats, après l’enquête réalisée par l’Assemblée nationale sur les raisons qui ont conduit au scandale d’Outreau, pourraient-ils encore réclamer le statu quo ? Sans doute pensaient-ils que, comme d’habitude en France, on peut se plaindre ad æternam de certains graves dysfonctionnements sans que le pouvoir y mette un terme. Eh bien non, ce n’est plus le cas. Ce n’est pas parce que un rapport rédigé en 1990 par Mireille Delmas-Marty (et qui préconisait déjà la réforme de l’instruction) est resté lettre morte, ce n’est pas parce qu’une nouvelle commission, celle de Philippe Léger, n’a pas encore fini ses travaux en la matière, ce n’est pas parce que la plupart des 70 recommandations faites au lendemain d’Outreau sont restées sans effet, que le gouvernement doit rester inerte. Conformément à son tempérament, le chef de l’État a voulu donner une suite à des scandales qui ne durent que le temps d’une tempête médiatique et sont aussi tonitruants que brefs : il a décidé de traiter le problème à froid, ce qu’on ne saurait lui reprocher et il renvoie chacun de ses détracteurs à un minimum de cohérence.

À quoi il faut ajouter un élément qui, sans condamner la magistrature dans son ensemble, rappelle les limites de la vertu des juges : alors que le secret de l’instruction est un principe sacro-saint, on aura bien du mal à trouver une instruction à retentissement au cours de laquelle le secret n’ait pas été allègrement violé sans qu’aucune enquête n’essaie de trouver le coupable. On rappelle ici et là, dans les médias, que, sans le juge d’instruction, l’affaire Elf n’aurait jamais existé ; il demeure qu’un ancien ministre a été traîné dans la boue par une instruction à charge et qu’il a été ensuite acquitté. C’est peut-être beaucoup demander à un juge de veiller à ce qu’aucun mot ne s’échappe de son bureau, mais c’est indispensable. On ne nous empêchera pas de penser que certaines informations habilement divulguées à la presse aident le juge à confondre la personne mise en examen. Ce n’est plus du droit, c’est un déni de justice qui peut conduire à une erreur judiciaire et qui méprise le principe, également sacro-saint, selon lequel toute personne est présumée innocente tant qu’elle n’est pas déclarée coupable.

Capable du pire.

Et, dans ces conditions, il eût fallu en rester là ? Ne pas reconnaître qu’existent de graves problèmes dans la conduite de la justice? Dans la réaction négative des magistrats et de ceux qui les soutiennent, au nom de la contestation systématique de ce que fait le pouvoir, il y a l’inertie naturelle de tous les grands corps, le refus du changement, la paresse et les habitudes, tout cela au prix d’une mauvaise justice dont les juges intègres (les plus nombreux ) ne sauraient se satisfaire. À n’en pas douter, il faudra que la nouvelle instruction soit conduite par des magistrats indépendants du pouvoir. S’il est vrai que plusieurs précédents ont montré que le pouvoir s’efforce d’affirmer ses prérogatives à l’occasion des réformes qu’il lance (par exemple pour les télévisions publiques), il ne faut pas non plus rejeter des changements, notamment dans des domaines où l’opinion a appris avec douleur que la justice est parfois capable du pire.

› RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2629