Martine Gozlan décrit, avec une surprenante fidélité aux faits historiques, les aspirations nationalistes des juifs d’Europe au début du XXe siècle et leur épanouissement culturel. Persécutés depuis toujours, ils n’en avaient pas moins assimilé la littérature et les arts des pays où ils survivaient. Forgés par la flamme révolutionnaire, les juifs russes, notamment, n’avaient plus qu’un désir : appliquer en Palestine les principes fondateurs d’une société égalitaire.
Rachel Bluwstein, née dans une famille aisée russe et juive, n’avait pas 20 ans quand elle fut à la fois saisie par le mouvement littéraire de l’époque, le projet sioniste et la passion amoureuse. Elle n’a pas eu besoin de lutter contre les insurmontables tabous de ce début de siècle : tout naturellement, elle a affirmé sa liberté, celle d’écrire, ce qui n’était pas facile pour une femme, celle en outre de s’adonner à la poésie, celle de partir, de quitter son cocon familial pour aller en Palestine, puis ailleurs. En même temps, elle a créé une œuvre qui, aujourd’hui, est devenue la référence en Israël.
Dans sa narration, l’auteure alterne des extraits de poèmes, d’une douceur infinie, de brefs morceaux de discours, des aventures personnelles, des contextes historiques. Loin des pogromes russes et des guerres en gestation au Proche-Orient, Rachel exprime surtout son amour pour la nature et sa prédilection pastorale. Elle va vers les autres, amants, enfants déshérités, poètes européens acclamés, mentors universitaires, avec une confiance, une détermination, une énergie inébranlables. Le rêve littéraire se nourrit d’une langue, l’hébreu moderne, à la construction duquel elle a activement participé avec l’intuition et le savoir des polyglottes. Un langage national pour un projet universel, une langue pour une terre, mais ouverte à tous les courants venus d’ailleurs.
Dans cette biographie, dont la rigueur n’empêche pas le romantisme, passent les ombres des plus grands auteurs, de Tolstoï à Maeterlinck, avec une passion particulière pour la littérature française. Rachel reste deux ans à Toulouse où, en vraie travailleuse de la glèbe, elle obtient un diplôme d’études agronomiques que lui remet personnellement un prix Nobel. Mais, peu à peu, la vie se referme sur elle : elle n’a plus de subsides, ses voyages deviennent irréalisables, elle tombe malade. Elle paie cher une liberté que personne, surtout pas son père, ne lui a jamais contestée.Ce voyage dans l’âme d’une poétesse, c'est l'exploration d’une sensibilité intense, le constat aigu de la beauté du monde, un syncrétisme mêlant féminisme, justice, amour de la vie et des gens, et surtout refus des contraintes qui banalisent nos destins. Une biographie qui a la force et l’inspiration d’un roman.
Martine Gozlan, « Quand Israël rêvait. La vie de Rachel Bluwstein », éditions du Cerf, 240 p., 19 €.
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