C’est un peu le yin et le yang, l’opposition permanente des contraires, et si on part en guerre, il faut en même temps, Parabellum au poing, préparer la paix. Pourtant, tant de choses nous lient, nous relient. On ne le voit pas assez, deux personnes qui s’injurient sont au moins d’accord sur un point, un langage commun. Sans sombrer pour autant dans le miel un peu écœurant du « Allez, nous sommes tous frères », Roger-Pol Droit passe en revue les différents Nous qui servent de références à nos vies.
Il existe une quantité de Nous et l’essentiel du livre consiste à éviter à la fois l’émiettement et la fusion. Chacun est membre d’une famille, engagé dans des amours et amitiés, parlant une langue précise, citoyen d’un État, membre d’une communauté religieuse ou adhérent d’un club de pêche à la ligne. Roger-Pol droit pointe le danger d’un durcissement de l’une de ces entités. « Voilà comment est notre famille, telle est notre langue unique et admirable, notre foi identique à travers les siècles. »
Bien entendu, en poussant un peu ces analyses, on débouche sur un clivage Nous les supérieurs/Eux les inférieurs, un thème peut-être un peu facile mais dont les exemples regorgent dans l’histoire. Au passage, le livre offre de très profondes analyses sur ce qui nous sépare du règne animal. Ces êtres que nous assassinons chaque jour pour les manger ou que nous installons dans de jolies corbeilles en osier nous préoccupent. N’ont-ils pas le tort de ne pas, eux, s’intéresser à nous ?
Ainsi l’ouvrage se poursuit-il longtemps sur les jeux infinis de l’unité dans la multiplicité et l’éclatement des Je, dont on sait qu’ils sont des autres. Mais c’est la fusion de deux Je, l’obtention d’un Nous, la relation, qui intéresse l’auteur. Ne peut-on pas trouver le moteur de cette fusion dans les analyses d’Emmanuel Levinas sur le visage : il est ce qui chez l’autre m’oblige à le reconnaître comme autre, la marque absolue de ce que cet auteur nomme la dignité
Quand un philosophe nous répond, on ne sait plus du tout ce qu’on lui avait demandé, disait un plaisantin. Mais Roger-Pol Droit se répond avec méthode et intelligence. Ce qui nous unit, c’est que nous sommes des « corps parlants ». De tous les animaux, l’humain est le seul à utiliser un langage symbolique institué et c’est là que se crée le véritable Nous. C’est ce que tu dois comprendre « hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ».
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