« De vous, je ne savais rien… Je vous pensais pareil à moi-même, menant un même combat, luttant avec les mêmes armes contre les mêmes ennemis, parce que vous aviez le corps meurtri et la tête haute… » Le chemin de re-connaissance de Guillaume de Fonclare pour arriver à « Joë » (1), un portrait de l’écrivain Joë Bousquet plus que complice, a été long. L’auteur reconnaît avoir peiné à lire le poète, peiné à comprendre le sens de ses écrits, avant qu’il ne lui devienne indispensable. On comprend mieux, en se souvenant du terrible récit où il a témoigné de la maladie auto-immune qui le rend peu à peu invalide (« Dans ma peau »), ce qui l’a poussé à s’intéresser à Joë Bousquet : celui-ci avait 21 ans, en mai 1918, lorsqu’une balle allemande l’a atteint à la colonne vertébrale ; paralysé des membres inférieurs, il a vécu cloîtré dans la pénombre d’une chambre jusqu’à sa mort en 1950. Porté par la littérature et aussi, mais oui, l’amour de plusieurs femmes.
Après avoir retracé le parcours du bactériologiste Alexandre Yersin dans « Peste et choléra » (prix Femina 2012), Patrick Deville, qui nous a déjà conduit en Amérique du Sud (« Pura Vida »), en Afrique (« Equatoria ») et en Asie (« Kampuchéa »), nous ramène, avec « Viva » (2), au Mexique à la fin des années 1930, où se sont réfugiés Malcolm Lowry et Léon Trotsky. Deux hommes qui, dans la réalité, ne se sont pas rencontrés et que tout sépare, mais que l’auteur a sélectionnés parmi les autres personnalités qui ont séjourné alors dans ce pays parce qu’ils se sont consumés dans leur passion et leur désir d’absolu. L’écrivain, qui sortait d’une dépression due à l’alcool et tentait de sauver son couple, ébauchait ce qui allait devenir son chef-d’œuvre, « Au-dessous du volcan » (il sera publié en 1947), tandis que le révolutionnaire, traqué par Staline, organisait la IVe Internationale (il sera assassiné dans ce pays en 1940). Dans ce roman passionnant, Patrick Deville rend hommage non seulement à deux hommes passionnés mais aussi au Mexique qui a été, à cette époque, un creuset de culture.
Affamé de peindre.
C’est aussi un passionné, un « affamé de vivre et de peindre », que décrit François Bott dans « le Dernier Tango de Kees Van Dongen » (3), sous la forme d’une confession imaginaire. À la veille de mourir, à 91ans (en 1968), et alors qu’il est « installé parmi ses coussins de prince oriental, entouré d’accortes infirmières », le vieillard se souvient des figures qui ont jalonné sa longue vie, de ses amis écrivains, artistes ou boxeurs, de ses amours et de sa rage de peindre : « J’étais affamé de lumière et de couleurs. Je les dévorais. Il me fallait des couleurs violentes, criardes même… et des femmes fatales. » On a reproché à Van Dongen d’être fanfaron, matamore, voire barbare, dans sa vie comme dans sa peinture. Dans cet ultime monologue, François Bott respecte cette sauvagerie mais la pare de poésie et d’émotion.
Connue surtout pour ses romans pour la jeunesse, Anne Percin a choisi, dans « les Singuliers » (4), la forme épistolaire et de mêler des figures historiques et des personnages fictifs pour à la fois dessiner la diversité des destins d’artistes entre réussite académique et liberté créatrice, et s’interroger sur le processus de création, entre évolution des techniques et celle des mœurs. Le récit se situe en 1888, lorsqu’un rejeton de la riche bourgeoisie belge s’installe à Pont-Aven, où Gauguin est le centre d’un groupe de peintres expérimentaux. Le jeune homme délaisse bientôt la peinture pour la photographie, qui n’est pas encore considérée comme un art, au grand dam de sa famille, qui lui coupe les vivres.
Le difficile parcours d’un autre avant-gardiste, Arnold Schönberg (1874-1951), qui inventa le dodécaphonisme, est le thème du deuxième roman de Vincent Jolit, après le surprenant « Clichy », consacré à la dactylo du docteur Destouches, première lectrice du « Voyage au bout de la nuit ». « Harmonie, Harmonie » (5) raconte la solitude du compositeur, qui, en émancipant la musique de la tonalité, a subi l’indifférence du public et l’éreintement des critiques musicaux. L’ouvrage est aussi une traversée de la première moitié du XXe siècle, d’abord à Vienne, où retentissent les noms de Freud, Mahler, Schnitzler, Loos ou Schiele, puis aux États-Unis, jusqu’à la mort du compositeur à Los Angeles. Patriote autrichien dans l’âme mais juif – il s’était converti au protestantisme en 1898 mais s’est reconverti au judaïsme en 1933 après avoir dû fuir l’Autriche –, confronté au rejet et à la haine, Schönberg a donné à sa musique, au cours de la dernière décennie de sa vie, un sens plus mystique.
(2) Seuil, 211 p., 17,50 euros.
(3) Le Cherche Midi, 132 p., 13,50 euros.
(4) Éditions du Rouergue, 286 p., 22 euros.
(5) La Martinière, 202 p., 15,90 euros.
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