CALQUÉS sur le « modèle » soviétique marxiste-léniniste, tous les systèmes de santé de l’Est étaient des systèmes nationaux, fortement centralisés, et dirigés par des administrateurs choisis autant pour leurs compétences sanitaires que pour leur fidélité au Parti. Les pharmaciens étaient tous salariés de ces systèmes d’État, et leur mission consistait surtout à distribuer des médicaments gratuits dans des pharmacies publiques… mais aussi à faire des préparations en raison de la pénurie fréquente de médicaments industriels, ou de leur qualité insuffisante. Seulement trois pays, l’Allemagne de l’Est (République démocratique allemande, RDA) la Hongrie et la Tchécoslovaquie, disposaient d’une industrie pharmaceutique performante et d’une vraie tradition dans ce domaine, les conditions de fabrication étant plus hasardeuses ailleurs.
Livraisons deux fois par mois.
De plus, chaque pays du Comecon, l’équivalent oriental de la Communauté européenne, produisait un certain nombre de gammes de médicaments, ensuite exportées dans tous les autres pays. En clair, si l’on avait besoin, à Budapest ou à Berlin-Est, d’un médicament produit en Tchécoslovaquie, ce dernier pouvait être de bonne qualité et disponible, mais si la spécialité n’était fabriquée qu’en Roumanie ou en URSS, la sécurité et la qualité étaient moins évidentes, de même que l’approvisionnement.
En général, les officines de tous ces pays étaient livrées par les grossistes… deux fois par mois, et un grand nombre de spécialités étaient chroniquement indisponibles. Résultat, les patients qui avaient de la famille ou des proches à l’Ouest, notamment les Allemands de l’Est, en étaient souvent réduits à se faire envoyer leurs médicaments manquant par ces derniers, ou à les payer très cher sur place en devises occidentales.
Les pharmacies privatisées.
Dès la chute des régimes communistes, les pharmaciens et les médecins de ces pays se sont mobilisés pour faire évoluer les systèmes de santé, en regardant avant tout vers deux grands modèles occidentaux, les systèmes français et allemands, fondés sur des caisses de Sécurité sociale et sur des professionnels non pas salariés, mais libéraux et conventionnés.
En Allemagne de l’Est, les 4 000 pharmaciens employés dans près de 2000 pharmacies d’État (pour 16 millions d’habitants) se sont très vite rapprochés de leurs confrères de l’Ouest et, en quelques mois à peine, le système oriental a été totalement reconstruit sur le modèle ouest allemand. Les pharmacies ont toutes été privatisées, et les médicaments de l’est très vite remplacés par des spécialités occidentales, tandis que les caisses de maladie se substituaient au système national public. En outre, les structures administratives de la profession ont été remplacées, dès 1990, par des Ordres régionaux élus, là aussi comme en Allemagne de l’Ouest.
Le début des années 1990 est euphorique dans l’ex-RDA, réunifiée le 3 octobre 1990 avec l’Allemagne de l’Ouest. De nombreux pharmaciens créent des officines grâce à des crédits généreusement distribués, et la consommation pharmaceutique explose, tant en matière de prescriptions que de médication familiale.
Tour de vis.
Mais la fête ne va pas durer : à partir de 1993, le gouvernement fédéral serre la vis au nom de la maîtrise des dépenses de santé, et les premiers plans de rigueur frappent durement les pharmacies de l’est, dont beaucoup se sont lourdement endettées pour se moderniser, sans parler de celles qui se sont créées trop vite, sans réelle évaluation économique. Nombre de ces « jeunes » officines disparaîtront dans les années suivant leur fondation, ou seront rachetées par des pharmaciens aux épaules plus solides.
Aujourd’hui, plus rien ne distingue vraiment une pharmacie ouest-allemande d’une pharmacie de l’est, si ce n’est que celle-ci est souvent plus moderne, car plus récente, que celle de l’ouest. La consommation pharmaceutique, longtemps supérieure à l’est, est redevenue globalement comparable des deux côtés de l’ancien mur, mais l’ouest, plus riche, consomme davantage de médicaments non remboursables que l’est. Il subsiste en revanche, à l’est, un certain nombre de produits « traditionnels » de médication familiale, non vendus à l’ouest, mais qui ont gardé une clientèle locale, et qui profitent du retour en grâce de l’« Ostalgie », la vague de nostalgie des produits d’avant 1989…
Spirales suicidaires.
Ne bénéficiant pas de la manne financière de l’Allemagne de l’Ouest, les autres anciens pays de l’Est ont évolué plus lentement que l’ex-RDA, y compris en matière de pharmacie. L’ex-Tchécoslovaquie (divisée en Républiques tchèque et slovaque depuis 1993), qui disposait d’un réseau de 1 350 officines d’État, a privatisé petit à petit ses officines en les vendant à ses anciens pharmaciens d’État, mais a conservé des pharmacies publiques et gratuites pour les malades les plus pauvres, une formule adoptée par plusieurs autres pays. Ces pays ont remplacé également leur système national par un système de caisses, équivalent à notre Sécurité sociale ou aux caisses allemandes, avec, en théorie du moins, des garde-fous pour les patients incapables de payer des cotisations ou des tickets modérateurs.
Si certains pays, comme la Hongrie ou la Bulgarie, se sont dotés de règles et de structures garantissant la propriété individuelle et l’indépendance professionnelle, d’autres se sont jetés dans le libéralisme à tous crins. Les chaînes ont ainsi pu fleurir, notamment en Pologne et dans les pays successeurs de l’URSS, avec des politiques de concurrence et des « guerres des prix » qui se sont révélées suicidaires pour bien des officines entraînées dans ces spirales. Depuis quelques années d’ailleurs, plusieurs pays ont « reculé » et, après avoir autorisé les chaînes et les concurrences effrénées, comme, par exemple, les pays Baltes, sont revenus à des systèmes plus… « modérés ».
Aujourd’hui, un visiteur qui reviendrait pour la première fois dans une pharmacie de l’est après 1989 aurait sûrement du mal à s’y retrouver, tant l’ambiance et les produits y ont changé. Mais de nombreuses pharmacies doivent faire face à des situations économiques préoccupantes, tandis que beaucoup de patients rencontrent des difficultés pour accéder aux soins et aux traitements, faute de moyens. Une réalité dans laquelle s’engouffrent les nostalgiques de l’ancien régime, qui rappellent que, même si les anciens systèmes étaient excessivement politisés et souvent insuffisamment performants, ils garantissaient à tous un accès égal aux soins de santé, ce qui n’est plus toujours le cas aujourd’hui selon eux.
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