LES STATISTIQUES sur les dépôts de bilan des officines – un terme générique qui recouvre en pratique des situations économiques et juridiques diverses – sont assez récentes. Jusqu’au début de l’année 2008, le phénomène étant encore relativement marginal, peu d’observateurs s’y intéressaient.
Certes, il y a toujours eu, chaque année, quelques dizaines de pharmacies qui n’arrivent plus à faire face à leurs échéances et dont le seul recours est de s’adresser au tribunal de commerce pour apurer leurs dettes. Mais depuis deux ans, le nombre de procédures collectives, c’est-à-dire de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, est en forte augmentation.
Ainsi, pour l’année 2009, la société INTERFIMO relève une hausse de 40 % de ces procédures par rapport à l’année 2008 : quatorze officines ont fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, soixante-quatre ont été mises en redressement judiciaire et trente-quatre ont été mises en liquidation. Par comparaison, il n’y a eu, en 2005 par exemple, que quatorze officines mises en redressement et dix-neuf autres en liquidation…
L’année 2010 devrait malheureusement confirmer cette tendance. « Pour la période qui va du 1er janvier jusqu’au 17 septembre 2010, nous avons déjà recensé quarante-huit ouvertures de procédures collectives, dont quatre dans les Alpes-Maritimes, cinq dans le Nord et le Pas-de-Calais, cinq à Paris, quatre pour la seule île de La Réunion… », indique Philippe Becker, responsable du département pharmacie de la société Fiducial, qui relève ces données chaque mois dans les journaux d’annonces légales. Certes, par rapport aux quelque cinquante-huit mille défaillances d’entreprises enregistrées en 2009 en France, le taux de défaillance des officines reste encore relativement faible. Mais en totalisant l’ensemble des procédures collectives, on devrait dépasser le chiffre de cent officines en dépôt de bilan sur l’année.
Difficultés de trésorerie.
Pour les syndicats, ce phénomène était prévisible, surtout depuis les difficultés de trésorerie constatées chez un nombre croissant de pharmacies en 2008 et 2009. Or, ces difficultés sont dues à toute une série d’événements survenus en amont et qui, conjugués, ont fragilisé bon nombre d’officines : les déremboursements de médicaments, l’arrivée des grands conditionnements, l’instauration d’une franchise de 0,50 euro par boîte, la limitation à deux mois des délais de paiement, imposée par la loi LME…
Mais il y a aussi, comme l’expliquent de nombreux experts-comptables, le problème des pharmaciens ayant acheté leur officine trop cher et qui, la crise du médicament et la baisse des prescriptions aidant, ne peuvent plus aujourd’hui faire face à leurs remboursements. « Une des causes principales des difficultés de trésorerie des officines est un prix d’achat trop élevé. Selon plusieurs études récentes, la valeur des fonds propres avoisine en général huit fois l’excédent brut d’exploitation – EBE -, alors qu’il ne devrait représenter environ que cinq à six fois celui-ci. Dans un contexte de baisse de l’EBE, on comprend pourquoi les officines ne peuvent pas supporter des charges d’emprunt trop lourdes et se retrouvent, pour certaines, dans des situations d’endettement critiques », fait remarquer Philippe Becker, dans son étude statistique sur l’économie des officines en 2009.
Des officines achetées trop cher ? Un argument que conteste un peu, toutefois, Philippe Besset, président de la commission économie de l’officine à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) : « Le problème n’est pas toujours que les pharmaciens ont acheté leur officine à un prix trop élevé, mais plutôt qu’ils n’ont pas eu assez d’apport personnel pour acquérir leur pharmacie. Le vrai problème actuellement est celui du chiffre d’affaires qui stagne et de la marge commerciale qui est insuffisante, même s’il est certain que le retournement de tendance qui a eu lieu en 2005 à la suite des différents plans sur le médicament est un problème grave pour les titulaires qui ont acheté leur officine juste avant ou après cette période », explique-t-il.
Faire face aux difficultés.
Quoi qu’il en soit, la trésorerie des officines continuant de se dégrader, le nombre de procédures judiciaires concernant des officines ne devrait donc pas baisser, malheureusement, dans les prochains mois. Pourtant, lorsqu’une pharmacie est dans une situation telle qu’elle ne peut plus faire face à ses remboursements et payer ses charges, des solutions juridiques existent, sans aboutir obligatoirement à la fermeture.
La première d’entre elles est une procédure de conciliation, que l’on peut mettre en œuvre dès la première difficulté rencontrée et même si l’officine est en état de cessation de paiements depuis moins de quarante-cinq jours. Elle consiste à rechercher un accord amiable avec les créanciers, grâce à l’aide d’un conciliateur nommé par le tribunal de commerce. Tout le monde peut en bénéficier, y compris, éventuellement, les pharmaciens d’officine.
La seconde procédure est celle de sauvegarde, destinée à favoriser la réorganisation de l’officine et la poursuite de son activité, à l’initiative de son titulaire. Cette procédure aboutit après une période d’observation de six mois, à un plan de sauvegarde qui est arrêté par un jugement du tribunal. Avantage de cette formule : elle peut être déclenchée très tôt, dès les premières difficultés pouvant conduire à une cessation de paiements. « C’est un bon système pour les pharmaciens, et il ne faut pas hésiter à y recourir lorsque c’est nécessaire », souligne Philippe Becker.
Dans les autres cas, et dès que la situation financière apparaît comme irrémédiablement compromise, il ne faut pas avoir peur de s’adresser au tribunal de commerce pour demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. C’est ce qu’on appelle, improprement, « déposer le bilan ». Lorsque l’actif de l’officine ne permet plus de faire face à son passif et que le pharmacien est en cessation de paiements, déposer le bilan est même une obligation. Bien sûr, le dépôt de bilan ou la cessation de paiements font peur, mais une procédure engagée rapidement peut permettre, par exemple, de renégocier les emprunts souscrits auprès des banques, et donc de redémarrer d’un bon pied. Alors que les banques sont très réticentes dans ce domaine actuellement, il est paradoxalement plus facile, parfois, de négocier avec son banquier en déposant le bilan…
En pratique, la procédure de redressement judiciaire peut aboutir, après une période d’observation, soit à un plan de redressement et de continuation avec ou sans repreneur extérieur, soit, en cas d’impossibilité de continuer l’exploitation du fonds, à sa liquidation pure et simple. Dans tous les cas, l’intérêt principal de ces procédures est de faire obstacle, sous certaines conditions, aux mesures de poursuites judiciaires des créanciers. À plusieurs stades de la procédure, et notamment dans le cadre d’un plan de cession décidé dans la phase de redressement ou même après le prononcé de la liquidation, l’officine peut être cédée à un repreneur extérieur.
Une acquisition à risques.
Pour cette raison, de nombreux candidats à l’installation s’intéressent aujourd’hui à ce type d’officines, dans l’espoir, bien sûr, de pouvoir faire une acquisition à moindre coût. « Mais attention, la procédure comporte des pièges et un certain nombre de précautions doivent être prises », prévient Me Laurent Simon, notaire, et spécialiste des procédures de redressement et de liquidation judiciaire au sein du réseau Pharmétudes.
En principe, lorsque plusieurs offres de reprise sont déposées, le tribunal retient celle qu’il estime pouvoir permettre d’assurer, dans les meilleures conditions, les emplois et le paiement des créanciers. Toutefois, l’acquéreur qui rafle la mise n’est pas forcément celui qui a fait la meilleure proposition de prix. Le tribunal se décide aussi sur la capacité du repreneur à redresser l’officine, à maintenir le plus d’emplois possible et à apurer le passif. Surtout, il arrive que les appels d’offres à la reprise ne servent qu’à faire fléchir les créanciers, dans le but de leur faire avaliser un plan de continuation. En effet, si les offres de reprise sont trop basses, les créanciers qui ne pourront pas être payés avec ces offres seront tentés d’accepter un plan de continuation avec un apurement du passif. Les pharmaciens ayant déposé des offres de reprise depuis, parfois, de longs mois, auront alors perdu leur temps…
C’est pourquoi, notamment, la reprise d’une officine déjà mise en liquidation est souvent plus facile et plus rapide, puisque c’est alors la meilleure offre qui est en principe retenue. En revanche, c’est toujours une opération à risques, puisqu’une pharmacie mise en liquidation a en général baissé le rideau depuis de longues semaines, et que la clientèle est donc partie. Reconstituer cette clientèle est toujours un pari.
Autres difficultés : les mandataires judiciaires ignorent souvent que l’Ordre des pharmaciens doit être informé du dépôt de bilan dès la première audience qui concerne l’officine. Surtout, ils ignorent aussi que la cession de l’officine doit être soumise à la condition suspensive de l’enregistrement de la déclaration modificative d’exploitation par l’Ordre régional compétent. Or, expliquer l’existence et la portée de cette condition à un tribunal novice dans la cession d’officines peut se révéler une source de retards dans la reprise…
Enfin, l’accès aux informations sur la situation économique réelle et sur l’environnement de l’officine est déterminant. La vérification des règles d’urbanisme locales, par exemple, est fondamentale. Bref, on l’aura compris, la reprise d’une officine en redressement ou liquidation judiciaire n’est pas toujours une « bonne affaire », même si le prix d’une officine qui a déposé son bilan est toujours inférieur à celui d’une officine en bonne santé sur le marché traditionnel…
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