SELON les chiffres du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE), il y a en Europe 160 000 officines et 400 000 pharmaciens d’officine, répartis dans les trente et un pays de l’Union européenne (UE), de l’Espace économique européen et dans les autres pays candidats à l’Europe.
Mais, par nature, le métier de pharmacien d’officine est sédentaire. Et, de fait, les installations de pharmaciens français à l’étranger ou de pharmaciens étrangers en France sont relativement peu nombreuses. Dans le premier cas - celui des officinaux français s’exilant dans un autre pays -, on de dispose pas de statistiques fiables puisqu’il faudrait dénombrer, dans chaque Ordre local (quand celui-ci existe) le nombre de titulaires avec un diplôme national.
Mais, inversement, les chiffres sur les pharmaciens d’origine étrangère ou européenne et travaillant en France sont connus, puisque le Tableau de l’Ordre national français les recense. Pour le seul secteur de l’officine, il y avait ainsi, au 1er janvier 2013, 355 pharmaciens étrangers, dont 274 ressortissants d’un pays situé hors de l’Union européenne - principalement des pays d’Afrique ou d’Afrique du Nord et d’Asie - , et 81 ressortissants seulement d’un pays de l’Espace économique européen. Le nombre de pharmaciens étrangers exerçant en France est donc assez faible, mais il est en augmentation ces dernières années.
Alors, pourquoi si peu de mobilité des pharmaciens européens ? « En pratique, même s’il existe normalement une reconnaissance du diplôme au niveau de l’Union européenne, celle-ci n’est pas toujours automatique et s’installer dans un autre pays est souvent un peu compliqué, avec des formalités assez contraignantes », explique Thierry Pronier, directeur régional de Fiducial, à Lille. « La délocalisation de l’activité professionnelle implique de raisonner sur un plan global en intégrant toutes les composantes de cette opération, y compris sur le plan personnel et familial. Pour ces raisons, les contribuables qui partent à l’étranger le font plus généralement en début ou en milieu de carrière, plus rarement lorsque leur activité est installée de longue date en France », souligne Bruno Bélouis, avocat fiscaliste et associé du cabinet Chaintrier, à Paris.
Mais sur le plan professionnel, tout dépend aussi de la nationalité, et surtout du pays dans lequel le diplôme a été obtenu. Par exemple, un pharmacien français ayant un diplôme délivré par une faculté de l’UE et qui souhaite travailler comme salarié dans une officine française doit faire une demande au CNG (Centre national de gestion). Le CNG fera lui-même une demande de vérification du diplôme auprès du ministère de la Santé du pays qui a délivré le diplôme. Or cette vérification peut prendre plusieurs mois.
Vous avez dit diplôme ?
Réglementairement, les autorités des états membres de l’UE sont tenues de reconnaître tous les titres de formation de pharmacien qui figurent à l’annexe V de la directive européenne relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, dès lors que le pharmacien a suivi une formation d’au moins cinq ans, dont au moins quatre années à temps plein d’enseignement théorique et pratique et un stage de six mois dans une pharmacie. À défaut, il faut apporter la preuve d’une expérience professionnelle d’au moins trois ans au cours des cinq dernières années.
En outre, les autorités de plusieurs États membres de l’UE exigent que les pharmaciens disposent d’une expérience avant de leur attribuer certaines fonctions. Dans ce cas, il faudra prouver que l’on a acquis l’expérience nécessaire dans son pays d’origine.
Surtout - et même si ce n’est pas le cas pour celles qui sont délivrées en France -, certaines qualifications européennes ne sont pas reconnues immédiatement en tant que telles. Par exemple, si les autorités de l’État d’accueil constatent des différences importantes entre la formation exigée dans ce pays et celle qui a été acquise dans le pays d’origine, elles peuvent demander au pharmacien de passer une épreuve d’aptitude ou d’effectuer un stage d’adaptation.
Pour les pharmaciens français, toutefois, la reconnaissance du diplôme n’est, en principe, pas un obstacle à l’expatriation, ce diplôme étant l’un des « meilleurs » en Europe. Mais d’autres facteurs entrent en jeu pour freiner la mobilité. Et notamment les conditions fiscales et sociales d’exploitation d’une officine, qui sont parfois moins favorables chez nos voisins européens, contrairement à une idée répandue. C’est le cas notamment pour la Belgique, où un impôt sur le revenu au taux de 25 % est prélevé à la source. « Il n’est pas avantageux pour un pharmacien français d’aller s’installer en Belgique, car il paiera un montant d’impôt sur le revenu plus élevé qu’en France. En revanche, il est intéressant pour un pharmacien belge de venir travailler en France », poursuit Thierry Pronier.
Du côté de cette frontière, il y a donc beaucoup plus de diplômés belges qui viennent en France, comme salariés surtout, que de pharmaciens nationaux qui partent en Wallonie ou en Flandres. L’explication de ce phénomène se trouve aussi dans le statut juridique et fiscal des frontaliers, différent de celui des résidents et des non-résidents. Ce statut a été modifié il y a quelques mois et fait qu’un pharmacien frontalier, aujourd’hui, paie son impôt non pas dans son pays de résidence mais dans le pays où il gagne ses revenus. Par exemple, un pharmacien salarié en France mais résident belge paie ses impôts et ses cotisations sociales en France.
À la frontière belge, il y a donc très peu de pharmaciens français qui s’installent de l’autre côté de la frontière, mais, en revanche, de nombreux pharmaciens salariés belges qui viennent travailler en France comme adjoints. « Et aussi quelques officinaux belges qui ont acheté une pharmacie, par exemple à Lille et dans sa périphérie ou dans le Valenciennois », précise Michel Watrelos, expert-comptable, dirigeant du cabinet Conseil et Auditeurs Associés.
Avantages aux non-résidents.
Pour la Suisse, c’est un peu le contraire : il y a davantage de pharmaciens français qui vont travailler dans ce pays que l’inverse. Mais comme salariés seulement : « Il est de toute façon très difficile pour un pharmacien français d’acheter une officine en Suisse. C’est un pays qui n’est pas dans l’UE, et qui est plutôt fermé », note Philippe Becker, directeur du Département pharmacie de Fiducial. Quant aux autres pays de l’UE, ils n’attirent pas beaucoup non plus les pharmaciens de l’Hexagone, mais pour d’autres raisons, qui tiennent surtout aux économies locales et à la situation du marché des médicaments dans ces pays, comme c’est le cas en Italie ou en Espagne, par exemple.
Mais attention : s’il n’est, en général, pas avantageux d’aller exploiter une officine dans un autre pays du vieux continent, il peut, au contraire, être très intéressant… d’y résider. Exemple, encore, avec la Belgique : du fait de la fiscalité belge très favorable, un pharmacien français qui exploite son officine en France, mais qui réside en Belgique, est exonéré d’impôt sur les plus-values de cessions de droits sociaux (donc sur la plus-value dégagée sur les parts de son officine lors de sa vente), ne paie pas d’impôt sur la fortune, et ne paie pas non plus les contributions sociales, dont le total s’élève à 8 %.
Dans ce cas-là, c’est en effet le système des non-résidents qui s’applique. Ce régime, en vertu de la convention fiscale franco-belge, implique pour le pharmacien de résider en Belgique plus de 183 jours par an, ou d’y avoir le centre de ses intérêts économiques, ou encore d’avoir sa famille ou son conjoint qui y réside. Le statut de non-résident vaut pour tous les autres pays d’Europe, sous réserve des particularités propres à chacun d’eux et qui sont réglées, en principe, par des conventions bilatérales signées avec la France.
Bien entendu, il n’est pas toujours facile d’obtenir ce statut fiscal de non-résident. Selon les pays, les formalités sont plus ou moins lourdes et le fisc local plus ou moins compréhensif. Attention aussi car le fisc français veille et, s’il considère que le statut de non-résident n’est pas justifié, il peut entamer un contrôle fiscal et exiger un redressement…
Pour des raisons pratiques, de plus, exploiter une officine en France tout en étant résident à l’étranger implique souvent de choisir un pays d’accueil qui ne soit pas trop éloigné, et dont la fiscalité est vraiment attractive. « Mais c’est pour ce genre d’avantages que bon nombre de dirigeants d’entreprise choisissent de s’expatrier, insiste Bruno Bélouis. Le coût fiscal de la transmission patrimoniale est un élément très dissuasif en France, de même que l’instabilité fiscale, notamment sur les plus-values de cession d’actifs professionnels. En optant pour un pays où la fiscalité personnelle est moins lourde, les dirigeants peuvent économiser beaucoup d’impôt sur leurs revenus et sur leur patrimoine au moment où ils décident de vendre leurs actifs ou de transmettre leurs biens à leurs enfants. »
Conclusion : si les pharmaciens, comme toutes les petites entreprises en général, n’ont souvent pas intérêt à délocaliser leur activité professionnelle, il peut en aller tout autrement pour leur patrimoine privé, si celui-ci est important…
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