Pendant 3 mois, Fred Schulte, correspondant pour « Kaiser Health News » et Erika Fry, journaliste pour « Fortune Magazine », ont étudié les conséquences de la mise en place des dossiers médicaux électroniques, (ou Electronic Health Records (EHR) en VO), apparus en 2010 aux États-Unis. Leurs conclusions sont sans appel. Alors qu'ils étaient censés améliorer la qualité des soins, rendre le patient autonome et diminuer les dépenses publiques, les EHR seraient responsables de nombreux accidents médicaux. Alors que 250 000 Américains décéderaient chaque année à cause d'erreurs médicamenteuses, selon une étude de l'université Johns-Hopkins, leur apport serait donc loin d'être positif. Selon l'enquête, publiée le 18 mars dernier, 21 % des dossiers médicaux électroniques américains contiendraient en effet des erreurs.
Des ambitions trop élevées ?
En 2010, bourré d'ambition, le gouvernement américain met en place une stratégie volontariste pour inciter médecins et hôpitaux à adopter les EHR. L'objectif est affiché : généraliser ce système pour aboutir à une technologie nationale, homogène et sécurisée. 64 000 dollars sont versés aux établissements et aux médecins qui s'engagent à l'utiliser. Dans un pays où les professionnels de santé jouissent d'une grande liberté d'action, une méthode plutôt contraignante est donc employée pour les inciter à participer. En 2016, à l'heure d'un premier bilan, des difficultés majeures affleurent déjà. Très peu de professionnels et d'établissements sont parvenus à atteindre la « phase finale » visé par les CMS*, qui avaient mis 30 milliards de dollars sur la table pour lancer l'opération en 2010. Une majorité de médecins trouve le système trop coûteux.
Si le déploiement des EHR permet aux géants de la santé de mettre en place des systèmes puissants et efficaces, l'impact économique s'avère catastrophique pour les petits établissements, vite dépassés par la complexité du procédé. Des difficultés « source de burn-out médical » pour de nombreux soignants, comme l'a confirmé l'American medical association (AMA) : « ces systèmes d'information peu performants finissent par donner le sentiment que la relation avec les patients est dégradée ». Alors que la diminution du papier au profit de données dématérialisées devait « fluidifier » les échanges d'information notamment, les EHR n'ont fait qu'augmenter la bureaucratie à l'hôpital, selon l'enquête.
Décédée à cause d'une « erreur »
Certains patients ont, eux, payé de leur vie les erreurs liées aux EHR. Alors qu'elle avait 47 ans, Anette Monachelli est décédée des suites d'une rupture d'anévrisme. Deux mois plus tôt, cette avocate avait pourtant consulté à deux reprises un médecin à cause de migraines particulièrement sévères. Le généraliste, qui officie au sein d'un pôle de santé, avait bel et bien envisagé la possibilité d'un anévrisme. Afin d'exclure cette hypothèse, il demande donc la réalisation d'un examen cérébral, par l'intermédiaire du logiciel de sa clinique. Alors que ce test aurait permis de détecter l'anévrisme, l'ordre n'a jamais été transmis au laboratoire. En cause, une défaillance du logiciel mis au point par e-Clinical Works (eCW), actuellement utilisé par 850 000 professionnels de santé aux États-Unis. C’est notamment le cas d'Anette Monachelli qui a permis de révéler au grand jour les lacunes des EHR, laissant apparaître un problème de très grande ampleur, le manque d'interopérabilité des logiciels. Autrement dit, les liens entre le logiciel utilisé, le système de tarification à l'activité et la facturation ne sont pas clairs, ce qui entraîne des erreurs aux conséquences parfois dramatiques.
Des dysfonctionnements majeurs
Si l'empressement avec lequel le gouvernement américain a voulu généraliser les EHR a été dénoncé par certains experts, les dysfonctionnements intrinsèques des logiciels ne sont pas à négliger pour Brendan Delaney, cité par l'enquête et qui a travaillé à la mise en place du système e-CW dans la prison de Rikers, à New York : « Les listes de médicaments des patients n'étaient pas fiables, les médicaments prescrits n'étaient pas visibles, les traitements interrompus étaient considérés comme toujours en vigueur, a observé l'expert juste après son entrée en fonction. Parfois, la note du médecin concernait un autre patient, ce qui entraîne des erreurs de diagnostic ou la prescription d’un médicament à la mauvaise personne. » Dans le détail : « En 2010, environ 30 000 ordonnances (sur 100 000) ne disposaient pas des dates de début et de fin appropriées, ce qui entraînait le risque d'une médication insuffisante ou excessive. Le système eCW ne suivait pas de manière fiable les résultats de laboratoire », selon les conclusions de Brendan Delaney.
* Centers for Medicare and Medicaid services.
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