Pour la dixième fois en quelques minutes, la jeune vendeuse doit annoncer la mauvaise nouvelle. Exceptionnellement aujourd'hui, la pharmacie de l'Espace Coty a fermé ses portes à 19 heures, une heure plus tôt que d'habitude. Pour profiter des 1 700 mètres carrés d'espace de vente et des nombreuses promotions de cette méga officine, ouverte du lundi au samedi et située en plein cœur d'un centre commercial, il faudra revenir demain. Pour le premier jour d'ouverture, le 1er avril, Sylvie et Frédéric Vandermersch, le couple de titulaires, ont accueilli 5 000 visiteurs.
L'inauguration officielle, trois jours plus tard, a donné une idée supplémentaire de l'engouement suscité par la (presque)* plus grande pharmacie de France. 400 invités, dont Jean-Baptiste Gastinne, le maire (LR) du Havre, et la députée (UDI) de Seine-Maritime, Agnès Firmin Le Bodo, (pharmacienne de profession), avaient fait le déplacement. Le nouvel édile, tout juste élu, n'a pas caché « sa fierté » en découvrant la trentaine de caisses, les caddies et les nombreux espaces bien-être de ce nouveau lieu « totalement dédié à la santé » comme aime à le rappeler Frédéric Vandermersch. Dans son enthousiasme, M. le maire a tout de même été pris d'une interrogation durant son discours : « peut-on vraiment appeler ça une pharmacie ? ».
40 % du chiffre d'affaires sur les médicaments
Si l'ouverture de la méga pharmacie est allée jusqu’à susciter l'intérêt de la presse grand public, les ambitions des Vandermersch sont bien connues du microcosme havrais, et ce depuis longtemps. Avant de s'installer entre deux boutiques de prêt-à-porter, les deux officinaux menaient déjà une stratégie commerciale agressive dans les 380 mètres carrés de leur précédent établissement. « Leur politique de prix faisait déjà souffrir leurs concurrents », confirme Marie-Hélène Lalande, présidente de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) de Seine-Maritime. Si l'organisation qu'elle représente ne pouvait s'opposer au transfert de l'officine, cela ne l'empêche pas de juger sévèrement la nature même du projet. « Ce qui me dérange, c'est que cette pharmacie ne réalise que 40 % de son chiffre d'affaires sur les médicaments. Ce tournant n'est pas celui prôné par la FSPF. Il est bien sûr nécessaire d'avoir une taille suffisante pour mener certaines activités, mais à ce point-là, cela risque de faire souffrir toutes les officines de la partie basse de la ville. »
Au milieu des trois seules étagères de son officine, Laurence** guette l'arrivée d'un patient depuis une bonne dizaine de minutes. « Nous ne sommes plus ouverts que 35 heures par semaine. La baisse de l'activité est constante depuis 3 ans. » Salariée d'une petite officine du centre-ville, Laurence conseille surtout une patientèle fidèle et âgée, difficile de s'adapter à certaines évolutions. « Celui qui a besoin d'un Doliprane entre midi et deux, il va chez Coty. Le prix du stationnement est prohibitif devant mon établissement, alors qu'eux bénéficient du parking souterrain du centre commercial. » L'officinale n'a pu s'empêcher d'aller faire un tour à Coty pour le premier jour d'ouverture. « On rigole en voyant les prix, déclare-t-elle ironiquement. Ils vendent des produits moins cher que ce que nous les achetons. » Depuis plusieurs mois, plus aucun produit de parapharmacie n'est vendu dans la pharmacie où travaille Laurence.
« J'ai fait des travaux et changé de groupement »
À moins de 100 mètres à vol d'oiseau de l'entrée principale de l'espace Coty, la pharmacie Thiers accueille, elle, ses derniers patients de la journée. Le projet de son imposant voisin a conduit le gérant des lieux, Vincent Morisse, à prendre certaines décisions. « J'étais inquiet en apprenant la nouvelle, alors j'ai fait des travaux pour m'agrandir et j'ai changé de groupement. » Mieux armé face à son concurrent, Vincent Morisse attend désormais de voir sur le long terme, même si l'ouverture de son imposant voisin a pour l'instant un effet inattendu. « À ma grande surprise, je constate une augmentation de l'affluence depuis le 1er avril, surtout sur les ordonnances. Comme il y a trop d'attente là-bas, les personnes qui ont besoin de médicaments sous prescription préfèrent venir ici. » Vingt-deux caisses sont pourtant dédiées aux seules ordonnances dans la pharmacie de l'espace Coty, et Frédéric Vandermersch réfute l'observation de son confrère. « Au contraire, depuis lundi le nombre d'ordonnances est en augmentation si on le compare avec la semaine précédente, quand nous étions encore dans nos anciens locaux. » Depuis sa pharmacie, Laurence ne veut pas jouer les arbitres, mais récemment elle a reçu un homme qui revenait de l'espace Coty une ordonnance à la main. « Ils n'avaient pas en stock le médicament en question alors que moi je l'avais, s'étonne-t-elle encore. Vu la taille de leur réserve, c'est quand même incroyable. »
* La plus grande pharmacie de France se situe à Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne), elle devait atteindre les 4 200 mètres carrés au printemps.
** Le prénom a été volontairement modifié.
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