Oppression laryngée, difficultés respiratoires, troubles visuels, perte de conscience : l’intoxication dont furent victimes le chimiste allemand Willy Lange (1900-1976) et son assistante Gerda von Kreuger ne les trompa pas. Nul doute que les fluorophosphates sur lesquels ils travaillaient dans le Berlin de 1932 avaient une parenté avec la nicotine, un neurotoxique alors utilisé comme insecticide - mais qui restait cher -. Lange pressenti que ces composés puissent constituer des insecticides de synthèse bon marché et les proposa à l’IG-Farben, alors leader de l’industrie chimique. Victime du nazisme, il fut progressivement démis de ses fonctions avant d’émigrer aux États-Unis en 1939…
C’est donc un chimiste d’IG-Farben, Gerhardt Schrader (1903-1990), qui poursuivit à partir de 1934 les travaux de Lange, à Leverkusen. Synthétisant plus de 200 dérivés phosphofluorés potentiellement insecticides, il découvrit le tabun, un gaz hautement neurotoxique. Il en informa par un courrier daté du 5 février 1937 le professeur Ebehard Gross, physiologiste au laboratoire Bayer de Wuppertal, lequel en fit part au ministère de la guerre nazi.
Ce gaz fut mis à la disposition de l’armée en mai 1937 avant d’être synthétisé dans une usine de « soupe alimentaire » (!) créée près de Breslau en 1942 et qui, à la fin de la guerre, en avait produit plus de 12 000 tonnes. Gross montra en 1939 que le tabun et les composés voisins avaient des propriétés anticholinestérasiques. Schrader conçut des dérivés plus toxiques encore tels le sarin (1 mg déposé sur la peau tue un homme en deux minutes), le soman ou le cyclosarin.
Après guerre, les Alliés profitèrent de son expérience pour développer des armes de destruction massive. Poursuivant ses travaux en Allemagne, il découvrit de nouveaux insecticides dans les années 1950.
Mais les travaux sur ces composés ne furent pas l’apanage de l’Allemagne nazie. Au début des années 1940, en Angleterre, le chimiste Bernard C. Saunders (1903-1983) perfectionna les techniques d’obtention des fluorophosphonates et le physiologiste Edgar D. Adrian (1889-1977) comprit le mode d’action du dyflos, un composé synthétisé par Lange. Ce dernier, précisément, stimula la recherche sur les organophosphorés aux États-Unis dans les années quarante et 50 : le malathion, un insecticide bien toléré par les mammifères mais très écotoxique, y fut commercialisé dès 1951 et reste indiqué comme scabicide. Enfin, c’est Outre-Atlantique également que Carl O. Anderson synthétisa des monofluorophosphates utilisés à partir de 1959 dans des… dentifrices « fluorés ». Étonnant parcours de la chimie des organophosphorés, qui passa ainsi de la destruction massive au soin des dents !
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