La recherche du goût perdu
De son propre aveu, Chantal Pelletier a toujours eu la fringale et la bougeotte. Elle a fait plusieurs métiers, dont celui de comédienne de café-théâtre (à succès), beaucoup voyagé, écrit dans plusieurs registres et signé entre autres un « Voyages en gourmandise ». Dans son dernier roman, elle confirme ses attachements, mieux, ses passions pour la cuisine et le voyage. La narratrice de « De bouche à bouches » (1) est une jeune photographe sans attaches, hormis son père, et tout occupée d’elle-même et de sa carrière, qui s’annonce florissante. Tout va bien pour elle jusqu’à l’accident de voiture qui la rend agueusique. Elle ne perd pas seulement le goût des aliments, celui de vivre aussi, mais avant de désespérer tout à fait elle choisit de partir, pour retrouver peut-être dans d’autres pays et d’autres gastronomies le goût perdu. Un récit goûteux qui devrait faire naître des vocations de cuisiniers !
Végétariens de tous poils
Dédié « aux moches, aux mal calibrés » (!), le livre de Frank Deroche, « Bio » (2), sort lui aussi de l’ordinaire. Il confirme l’originalité de cet auteur qui s’est fait remarquer depuis « Effets secondaires » en 2002 et jusqu’aux « Paroles de Billie Jean » et « le Chien endormi ». Le narrateur est un garçon bien sous tous rapports, qui prépare sans enthousiasme ni ennui une thèse de doctorat sur la langue étrusque. Végétarien (comme l’auteur), il ne consomme que des produits bio. Il représente en quelque sorte le juste milieu entre son frère Ben, qui mène un train d’enfer et est un adepte de la « junk food », et son amie Sarah, étudiante en religion catholique qui boit son urine sur les conseils de son naturopathe... Son existence tranquille bascule alors même que le jeune homme se décide à coucher avec Magda, une imposante Suédoise qui à la fois le dégoûte par sa laideur et l’attire parce qu’elle aussi est « bio ». Le roman se lit comme une tragi-comédie qui met à mal les excès de tous bords, soins de santé excessifs comme hyperconsommation et rappelle que la maladie n’épargne personne et qu’au bout du compte la mort triomphe.
Nouvelles indiennes
L’Inde et ses nourritures sont au cœur de « Mangue amère » (3), de l’écrivaine indienne Bulbul Sharma (à qui l’on doit « la Colère des aubergines »). Il s’agit d’un recueil de nouvelles, constitué de sept histoires que racontent sept femmes de la bourgeoisie de l’Uttar Pradesh, où la cuisine joue un rôle important, voire capital. Ces sept conteuses, parentes plus ou moins éloignées, sont réunies à l’initiative de l’une d’entre elles pour célébrer l’anniversaire de la mort de celui qui a légué toute sa fortune à leur hôtesse. La cérémonie consiste à préparer tous les plats préférés du défunt. En même temps que les femmes s’affairent dans la cuisine, les langues se délient pour rapporter des histoires réelles ou inventées plus extraordinaires les unes que les autres. Qui nous obligent à considérer les mères, les épouses et les belles-mères d’une nouvelle manière...
Un goût d’arrière-cuisines
Pavé de la rentrée d’automne, « En cuisine » (4) dévoile plutôt les arrière-cuisines d’un grand hôtel londonien plus tout à fait à la hauteur, comme l’illustration d’une société attachée à ses traditions et confrontée à un monde nouveau qu’elle ne comprend pas. Le livre est signé Monica Ali, cette jeune auteure britannique (d’origine pakistanaise) dont le premier roman, « Sept Mers et treize rivières », avait été porté au pinacle. Il se déroule autour du chef des cuisines de ce palace sur le retour, homme-orchestre qui doit s’imposer et composer avec une brigade multiculturelle et pas toujours en règle avec les autorités. Jusqu’à ce que la mort de l’un de ses plongeurs le conduise à porter un regard nouveau tant sur ses cuisines – avec ses trafics en tous genres et ses violences quotidiennes – que sur lui-même et ses piètres relations avec sa famille. Comme son héros, Monica Ali ne fait pas dans la mesure et creuse la faille jusqu’à la béance.
L’art de la concision
Professeur au département de musique de l’université de Séville, José Carlos Carmona a fait un tabac en
Espagne avec son premier roman intitulé « Pour l’amour du chocolat » (5). On en a salué la concision, mais aussi la sensualité du chocolat mêlée à l’histoire. L’histoire commence à Lausanne en 1922, et raconte comment, pour plaire à une jeune violoncelliste, un livreur de lait s’essaye à la musique et devient champion de Suisse d’échecs. En vain. Mais dans son parcours de séduction il découvre le pouvoir du chocolat, il ouvre une boutique qui sera le début d’un empire. Dans ce roman très bref, l’auteur réussit l’exploit de nous remémorer des événements majeurs du siècle dernier, tant en Europe qu’aux États-Unis. Un krach boursier, une guerre mondiale mais aussi la maladie, l’adultère, le suicide..., une vie où, quand rien ne va plus, il reste toujours le goût du chocolat !
Vers la terre nourricière
Changement de régime avec Martin Provost (cinéaste, il a notamment réalisé « Séraphine », récompensé en 2009 par sept César) et son « Bifteck » (6). Une fable où le carnassier rejoint le merveilleux. André Plomeur est le fils de bouchers de Quimper, qui barbote dès la naissance dans la bidoche et au physique plutôt adipeux, mais qui s’est découvert très jeune le don de « faire chanter la chair » des Quimpéroises. Si bien que, à la fin de la guerre (celle de 14), au retour des maris survivants et alors qu’il n’a que 16 ans, il se retrouve nanti de sept enfants. Pour fuir la fureur des époux trompés et protéger ses gamins, André décide de partir avec eux, direction l’Amérique. Mais il échoue avec sa progéniture sur une île déserte et mystérieuse, qui « ressemblait à un gâteau ».
Une chronique familiale et sociale
Avec Anthony Palou, on reste à Quimper mais dans une catégorie d’aliments différente. « Fruits & légumes » (7) est son deuxième roman après « Camille », prix Décembre 2000. Il s’agit d’une chronique familiale et sociale, où la drôlerie le dispute à la lucidité. On découvre, via le narrateur, l’irrésistible ascension sociale de son grand-père, républicain espagnol qui, fuyant le franquisme, a fait fortune en Bretagne avec sa soupe catalane. Et le tout aussi prévisible déclin de la « dynastie fruitière ». Entre dérision et nostalgie, le roman joue sur deux registres différents, celui de la famille et celui d’une époque, les années 1970, qui l’une et l’autre signent la fin des illusions.
(2) Gallimard, 176 p., 16,50 euros.
(3) Philippe Picquier, 172 p., 16,50 euros.
(4) Belfond, 625 p., 22 euros.
(5) Grasset, 181 p., 14 euros.
(6) Phébus, 125 p., 11 euros.
(7) Albin Michel, 153 p., 14 euros.
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