UN PHARMACIEN en exploitation individuelle, on le sait, est responsable sur ses biens personnels des dettes de son officine. En pratique, son patrimoine professionnel et son patrimoine privé se confondent : ses biens privés peuvent donc être engagés pour couvrir les dettes de l’activité professionnelle.
Il en est de même lorsque le pharmacien est en société en nom collectif : dans ce type de société « en nom », la responsabilité des associés est à la fois illimitée et solidaire puisqu’ils ont tous la qualité de commerçant. Ils répondent donc tous indéfiniment et solidairement des dettes sociales. En pratique, le créancier – en général la banque - peut demander le remboursement total des sommes qui lui sont dues à l’un quelconque des associés, quitte, pour ce dernier, à se retourner contre la société ou contre ses coassociés.
Même les pharmaciens qui sont associés d’une société de capitaux du type SELARL ou SARL ne sont pas à l’abri de poursuites personnelles. Certes, en principe, ce type de société limite la responsabilité des associés au montant des apports qui lui ont été faits, mais plusieurs exceptions viennent annihiler en tout ou partie cette protection : la faute de gestion du titulaire en cas de mise en redressement ou liquidation judiciaire de l’officine, la caution personnelle donnée à la banque pour le remboursement du passif social, la faute professionnelle du pharmacien engageant sa responsabilité civile…
Payer soi-même le passif.
Le risque patrimonial pris en exploitant une officine n’est pas seulement théorique : en 2011, on a compté, selon la société Interfimo, 138 procédures collectives d’officines, c’est-à-dire presque autant de dépôts de bilan. « Les procédures collectives les plus nombreuses ont eu lieu à Paris et en Ile-de-France, en Aquitaine et en Provence-Alpes-Côte d’Azur », précise Luc Fialletout, responsable de cette étude chez Interfimo. « Uniquement à Paris et en Ile-de-France, il y a eu 42 procédures collectives en 2011 ».
Or, en cas de liquidation judiciaire de la société ou en cas d’annulation du plan de sauvegarde, les dirigeants peuvent être condamnés par les juges à combler personnellement le passif social. Cette responsabilité peut être mise en jeu lorsque les dirigeants ou les gérants ont commis des fautes de gestion, voire des imprudences ou des négligences, et si ces fautes ont contribué à l’insuffisance d’actif de l’officine. Les pharmaciens concernés peuvent alors être condamnés à payer eux-mêmes toutes les dettes sociales, même si l’actif restant permet de les apurer partiellement.
Par exemple, la poursuite d’une exploitation en déficit, un dépôt de bilan tardif ou le recours excessif à des crédits bancaires peuvent valoir une condamnation à ce titre. Dans certains cas, les juges font supporter une partie seulement du passif à un seul gérant, ou dans d’autres cas l’ensemble du passif à tous les gérants.
Quel que soit le mode d’exploitation de l’officine, il est donc très important de prendre les mesures adéquates pour éviter d’avoir à faire face personnellement aux difficultés qui peuvent survenir. Quatre principales peuvent être retenues : passer en société mais en prenant certaines précautions, protéger les biens immobiliers par une déclaration notariée, limiter les cautions personnelles, choisir le bon régime matrimonial.
En société, sous conditions.
Exploiter l’officine sous forme de société de capitaux plutôt qu’en entreprise individuelle ou en SNC est la solution la plus classique pour mettre à l’abri ses biens privés. Mais il faut faire attention, car la mise en société de capitaux n’est pas toujours la solution idéale, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, si le pharmacien s’est porté caution personnelle auprès de la banque pour garantir les emprunts souscrits par la société, la limitation de la responsabilité commerciale sera annulée de fait puisque ce pharmacien pourra avoir à rembourser ces emprunts avec vos propres deniers.
Ensuite, comme on l’a dit, un dirigeant de société peut toujours voir sa responsabilité engagée sur le plan civil en cas de fautes de gestion, et il encourt une responsabilité commerciale qui peut aller jusqu’au comblement du passif de la société ou au prononcé de la faillite personnelle en cas de fautes ou de négligences importantes.
En outre, quand on décide de passer en société, le statut choisi doit permettre également de développer l’officine. Optimiser la fiscalité sur les bénéfices et rechercher la meilleure protection sociale pour les cotitulaires sont également des critères importants. Or, le régime de l’impôt sur les sociétés entraîne de nombreuses conséquences, qu’il faut prendre en compte.
Tout d’abord, le pharmacien dirigeant n’est imposable, en tant que tel, que sur les rémunérations qui lui sont versées et les bénéfices distribués. Par ailleurs, les dividendes distribués aux gérants non salariés par les SARL sont exonérés de cotisations sociales (mais pas de prélèvements sociaux), alors que les dividendes distribués à ces mêmes gérants par les SELARL, les SELAS ou les SELURL sont pour partie assujettis à ces cotisations.
Par ailleurs, le régime de l’IS permet de réinvestir les bénéfices hors impôt, ce qui constitue un avantage important par rapport à l’entreprise individuelle dans laquelle tout le bénéfice est soumis à l’impôt. Il faut savoir également que si l’activité est déficitaire, l’IS autorise aussi un report illimité du déficit sur les bénéfices sociaux (au lieu de six ans dans les entreprises individuelles et les sociétés de personnes). En revanche, le dirigeant d’une société soumise à l’IS ne peut déduire de son revenu global une quote-part du déficit de la société.
Protéger les bien immobiliers.
Pour les pharmaciens en exploitation individuelle, une décision s’impose pour protéger efficacement son patrimoine immobilier : établir devant un notaire une « déclaration d’insaisissabilité » de tout ou partie de ces biens, dont la résidence principale. Les actifs immobiliers mentionnés dans la déclaration ne pourront pas être saisis par les créanciers.
« Eu égard à la garantie qu’elle apporte, le coût de cette déclaration est très modeste, et beaucoup plus simple à mettre en œuvre que la protection apportée par la constitution d’une entreprise individuelle à responsabilité limitée ou EIRL », constate Maître Bastien Bernardeau, notaire et membre du réseau Pharmétudes, spécialisé en officines.
Cet acte est très efficace pour mettre le patrimoine immobilier à l’abri des difficultés financières de l’officine, mais il ne vaut que pour l’avenir : les biens concernés deviennent insaisissables uniquement pour les dettes nées après la publication de la déclaration. Il est donc conseillé d’effectuer cette déclaration à un moment où le pharmacien n’est pas encore trop endetté.
À noter également que cette déclaration peut entraîner quelques difficultés pour les pharmaciens qui souhaitent réaliser un emprunt bancaire : lorsque l’habitation principale est le seul bien privé important que le pharmacien possède, ce pharmacien aura du mal à solliciter un crédit si ce bien est déclaré insaisissable, à moins qu’il renonce à sa déclaration.
Limiter les cautions.
Le cautionnement est la garantie la plus demandée par les banques. Mais qu’il soit en exploitation individuelle ou dirigeant d’une officine à l’IS, le pharmacien qui se porte caution s’engage dans tous les cas à rembourser personnellement les dettes souscrites dans le cadre de l’activité de l’officine. C’est donc un acte grave, qui doit être mûrement réfléchi, d’autant que la banque peut également demander cet engagement au conjoint si celui-ci possède des biens personnels.
Mais le cautionnement n’engage le pharmacien que si l’acte comporte sa signature et la mention, écrite par lui, de la somme garantie, en chiffres et en lettres. Le non-respect de ce formalisme, qui a été édicté pour protéger les personnes non averties, peut donc paradoxalement permettre d’échapper éventuellement à l’engagement. Attention néanmoins : ce n’est pas automatique et les tribunaux jugent au cas par cas.
On peut essayer aussi de limiter la garantie au principal de la dette, sans les intérêts. Du reste, si le pharmacien ne s’est engagé dans la mention manuscrite de l’acte que pour une somme chiffrée, sans autre indication, il ne pourra être tenu qu’au paiement de cette somme et la banque ne pourra pas lui faire payer les intérêts.
D’autre part, plutôt que d’accorder une caution personnelle à la banque, il est possible de trouver un organisme de prêt qui propose un cautionnement mutuel. En cas de non-remboursement de l’emprunt, c’est l’organisme de cautionnement qui paiera, et non pas le pharmacien comme dans le cas d’une caution personnelle.
Changer de régime matrimonial.
Sur le plan matrimonial, l’une des solutions classiques pour protéger ses biens privés consiste à cloisonner les patrimoines entre le pharmacien exploitant et son conjoint, en adoptant un régime de séparation de biens : les deux époux pourront avoir encore des biens communs, mais chacun d’eux disposera d’un patrimoine propre et sera responsable du passif et des dettes éventuelles de son propre patrimoine.
Par conséquent, si l’officine est dans le patrimoine propre du pharmacien et les biens familiaux dans celui de son conjoint, seul le pharmacien pourra être poursuivi par les créanciers de la pharmacie. « Ainsi, en cas de procédure collective, le patrimoine du conjoint ne sera pas impacté », ajoute Maître Bernardeau.
Il est possible aussi d’adopter un régime un peu différent de la séparation de biens ordinaire : la séparation de biens avec une clause de participation aux acquêts. Ce système fonctionne en cours de mariage comme le régime normal de séparation, mais il procure en plus, en cas de décès, les mêmes avantages qu’un régime communautaire. Il crée en effet une communauté de biens limitée qui se partagera comme une communauté de biens ordinaire au décès du pharmacien. Le conjoint survivant aura donc sur celle-ci davantage de droits qu’il n’en aurait eu avec une séparation de biens normale.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion