Les éléments sont connus : Dieu a créé Adam et Ève et les a placés nus et sans honte dans un jardin des délices. Il leur a dit qu’ils pouvaient manger de tous les arbres, à l’exception du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Ils mourraient s’ils enfreignaient cette interdiction. Mais un serpent convainquit Ève, qui mangea du fruit défendu et en donna à Adam. Alors leurs yeux s’ouvrirent et, voyant qu’ils étaient nus, ils cousirent des feuilles de figuier pour se couvrir le corps. Irrité, Dieu lança des malédictions : la femme enfanterait désormais dans la douleur et les hommes seraient chassés du paradis.
Qu’y a-t-il dans ce scénario de si réussi ? Pourquoi ce conte pour enfants a-t-il à ce point fasciné les adultes ? Comment ces quelques dizaines de lignes du début de « la Genèse » suffirent-elles à enflammer des milliers d’imaginations ?
Mais ce qui intriguera le plus le philosophe et le savant est l’acceptation du récit biblique d’Adam et Ève comme vérité nue, comme s’il s’agissait du véritable premier chaînon de l’évolution humaine.
Bien sûr, les religions l’adoptent sans esprit critique excessif. Les rabbins y voient un miroir dans lequel il faut chercher les intentions de Dieu. Les premiers chrétiens mettent l’accent sur la perte catastrophique de l’Éden causée par la désobéissance d’Adam. Les exégètes coraniques font d’Adam le premier prophète.
L'obsession du péché
Comme pour tout conte, des déformations viennent tordre à plaisir le scénario primitif. Saint Augustin est le premier à s’en emparer. Mais la fascination n’est pas générale. Voltaire ne peut s’empêcher de revenir vers cette histoire, qu’il estime confisquée par l’orthodoxie religieuse. Il pointe en particulier le côté ridicule de l’interdit biblique. « Il est difficile de concevoir qu’il y ait eu un arbre qui enseignât le bien et le mal, comme il y a des poiriers et des abricotiers. » « D’ailleurs, ajoute-t-il, pourquoi Dieu ne veut-il pas que l’homme connaisse le bien et le mal ? Le contraire n’était-il pas beaucoup plus digne de Dieu, et beaucoup plus nécessaire à l’homme ? »
En tout cas, l’histoire obsède saint Augustin, ou plutôt le jeune Augustin. Ayant volé puis jeté des poires chez un voisin avec d’autres garnements, il se persuade qu’il a vécu au travers de cette peccadille une expérience adamique. Il y voit aussi une forme de théodicée : le Mal vient de l’homme, jamais de Dieu.
L’obsession du péché, de la luxure et de l’impureté se retrouve dans la vie et l’œuvre du poète anglais John Milton (1608-1674), qui, dans un divertissement théâtral, « Comus », imagine des adolescents aux mains d’un sorcier maléfique. Son œuvre célèbre, « le Paradis perdu » (1667), évoque Adam et Ève ainsi que l’obsession d’une virginité, que son mariage à 33 ans interrompra. Un mariage désastreux. Milton peint un Adam solitaire au Paradis, devenu très malheureux.
Telle est cette prodigieuse histoire, sans aucun « avant », longtemps captée et emprisonnée dans la gnose religieuse mais si fertilement laïcisable. On le sait, pour nous pauvres humains, plus dure aura été la Chute.
Flammarion, 342 p. (448 avec les annexes), 23,90 €
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion