FRANÇOIS Aucouturier a été titulaire pendant vingt ans en région parisienne, d’abord en association avec son épouse dans une petite pharmacie, puis dans une plus grosse structure, avec son épouse et une amie. Des difficultés financières l’ont conduit à redevenir adjoint, depuis 2001. « J’ai d’abord travaillé dans une première pharmacie, pour dépanner un confrère. Puis j’ai décroché un poste dans une grosse pharmacie qui compte une quinzaine de salariés. Le titulaire cherchait quelqu’un pour le seconder et mon expérience de titulaire a joué en ma faveur. » Même s’il a toujours des regrets par rapport aux déboires qu’il a connus avec son officine, François Aucouturier s’estime « très chanceux ». « Trouver un poste comme celui que j’ai, pour un ancien titulaire, c’est l’idéal. À l’heure actuelle, je suis considéré comme le bras droit de mon titulaire. J’ai beaucoup de responsabilités et nous discutons souvent de différents sujets. Il n’hésite pas à partir en vacances en me laissant gérer la pharmacie et il m’a même donné procuration sur les comptes. Nous sommes sur la même longueur d’onde, avec la même vision de l’officine, donc ça colle parfaitement. » En revanche, quand des désaccords apparaissent, « c’est lui qui tranche ». Pour François Aucouturier, la difficulté pour un ancien titulaire qui redevient adjoint est de « rester à sa place. L’adjoint doit accepter la façon de travailler du titulaire, il est obligé de suivre. Il faut mettre un peu son ego de côté et ça n’est pas forcément facile pour un ancien titulaire ». Il pointe aussi les réticences de certains pharmaciens à laisser un adjoint s’impliquer significativement dans la pharmacie. « Beaucoup de pharmaciens sont les maîtres dans leur officine. Ils ne comprennent pas qu’un adjoint s’intéresse au métier et qu’il ait envie d’en faire davantage que son simple travail quotidien au comptoir pendant 35 heures. Ils considèrent que l’adjoint outrepasse son rôle s’il souhaite s’investir davantage. Il y a une place à faire, en se bagarrant et en s’imposant, mais ce n’est pas toujours facile et certains baissent les bras », commente-t-il. La plus grosse difficulté selon lui, est donc de trouver une pharmacie qui cherche vraiment un adjoint disposé à s’impliquer.
Manque de reconnaissance.
S’il a pu décrocher un poste satisfaisant, ce n’est pas le cas de Catherine Gonzalez, également ancienne titulaire d’officine. « Je n’ai pas vraiment connu d’expérience heureuse en tant qu’adjointe », déclare-t-elle. Titulaire de 1988 à 1996 dans une pharmacie qu’elle a créée du côté d’Alès, elle a fini par revendre sa pharmacie, dont l’activité n’avait « pas suffisamment décollé ». « Au bout de huit ans, je continuais à travailler 70 heures par semaine et je ne pouvais même pas me payer au coefficient 400, ni embaucher un adjoint à temps plein, témoigne-t-elle. Quand on est titulaire, c’est aussi pour bien vivre, sinon ça ne donne pas envie de continuer. » Mais elle reconnaît que cela reste malgré tout une formidable expérience, très enrichissante en termes de responsabilités et de management. Et elle regrette que les adjoints n’aient pas davantage de possibilités de s’investir et de s’engager financièrement dans cette aventure. Après la vente de son officine, elle est partie à Nîmes où elle a commencé par effectuer des remplacements avant d’occuper des postes d’adjointe. « Quand on remplace un titulaire, on est assez libre d’exercer comme on le souhaite. On garde notre indépendance professionnelle, contrairement à ce qu’on vit quand on est adjoint, estime Catherine Gonzalez. C’est souvent un poste très frustrant et très insatisfaisant. On ne bénéficie d’aucune reconnaissance, y compris financière. J’ai 53 ans et on me propose encore des coefficients 400 dans ma région ! » Elle déplore également que « la concurrence accrue sur les prix prenne le pas sur notre cœur de métier. On a parfois tendance à oublier les règles de base de la profession ». Comme François Aucouturier, elle regrette que les titulaires soient si réticents à accorder des responsabilités aux adjoints. « Si on les laisse faire, les adjoints travaillent très bien, car ils n’ont pas de contraintes financières ou de gestion. Ce sont des gens sur qui on peut s’appuyer à 100 % au niveau de l’exercice professionnel. Malheureusement, on ne leur donne pas suffisamment la possibilité de se former et de mettre en pratique leurs compétences. » Elle trouve également dommage que « certains titulaires ne soient pas du tout ouverts à la discussion et au changement et ne profitent pas des expériences de leurs adjoints ». Déçue par son parcours en tant qu’adjointe, elle a repris les remplacements en 2005, jusqu’en 2009. Mais, depuis 2009-2010, elle trouve très peu de postes de remplaçante. De guerre lasse, elle a fini par s’orienter partiellement vers les prestataires de services et la dispensation à domicile d’oxygène à usage médical. Malgré tout, elle croit toujours en son métier de pharmacien d’officine et espère que les nouvelles missions permettront aux adjoints de saisir de nouvelles opportunités au sein de la pharmacie.
Sérénité et liberté.
Pour d’autres anciens titulaires, redevenir adjoint est au contraire synonyme de liberté retrouvée. C’est le cas de Marie*. Titulaire à Paris pendant une dizaine d’années, elle a choisi de revendre son officine il y a dix ans, pour redevenir adjointe, d’abord en Seine-Saint-Denis, puis en Charente Maritime. « C’est le meilleur choix de ma vie, estime-t-elle. Le fait d’être adjointe me donne l’impression d’une plus grande liberté. J’ai pu voir différentes façons de travailler et il y a des choses à apprendre partout où on va. Quand on est titulaire on est bloqué, d’une certaine manière. » Elle a également retrouvé une tranquillité d’esprit qu’elle apprécie. « J’ai mille fois moins de soucis. Quand la journée est finie elle est vraiment finie, ce qui n’était pas le cas avant. Je me demandais si j’allais pouvoir payer l’URSSAF, si j’allais avoir des soucis avec mon banquier, etc. J’ai gagné en sérénité et je dors bien maintenant ! » Néanmoins, lorsqu’elle a revendu sa pharmacie, elle appréhendait de devoir à nouveau être sous la direction de quelqu’un. « Je me demandais s’il ne serait pas difficile de se plier à une direction, puisque j’en avais perdu l’habitude depuis dix ans. Finalement ça s’est bien passé. » Elle trouve « très enrichissant » d’avoir pu travailler avec des gens qui avaient une autre vision de la pharmacie. « Par exemple, la pharmacie où j’ai travaillé en région parisienne avait une démarche commerciale très dynamique sur la parapharmacie, alors que ce n’était pas du tout ma spécialité. » Dans la pharmacie où elle travaille actuellement, elle juge sa relation avec le titulaire « très privilégiée ». « Il est à l’écoute de mon expérience. Il sait que j’ai vécu certaines situations qu’il traverse et n’hésite pas à partager avec moi. Le plus difficile est de rester à sa place. Or la place d’adjoint est difficile à cerner. C’est une chose dont je n’étais pas consciente lorsque j’étais titulaire. » Elle reconnaît que la situation peut être très variable d’une pharmacie à l’autre. « Certains titulaires laissent beaucoup de libertés à leurs adjoints, d’autres non. J’ai travaillé pendant un an dans une pharmacie où je me suis ennuyée à mourir. Je devais rester au comptoir et ne rien faire d’autre. » Cependant, elle estime que l’un des avantages d’être adjoint « c’est de pouvoir changer d’officine si l’on n’est pas satisfait, même si le marché de l’emploi n’est pas au beau fixe ».
Divergences de point de vue.
De son côté, Serge Caillier a débuté sa carrière pharmaceutique en tant qu’adjoint pendant un an, à Carnac, puis à Mortagne-au-Perche. Il a ensuite acquis une petite officine à Laval, où il a exercé entre 1982 et 1990. Puis, de 1990 à 1999, il s’est installé à Nantes, en association dans une grande pharmacie comptant plus de 20 salariés. « Les aléas de la vie m’ont conduit à redevenir adjoint, explique-t-il. J’ai d’abord fait des remplacements dans une dizaine de pharmacies à partir de 2000, avant de me stabiliser dans l’officine où je travaille toujours actuellement, à Savenay. » Pour lui, « quand on redevient adjoint, le fait de repasser sous les ordres de quelqu’un n’est pas toujours facile, d’autant plus que l’indépendance professionnelle des adjoints n’est pas forcément respectée ». La difficulté réside aussi dans les divergences de point de vue qui peuvent survenir entre le nouvel adjoint et son titulaire. « Quand on a été soi-même titulaire, on n’a pas forcément la même conception du management, ou des choix commerciaux et stratégiques que le titulaire de la pharmacie où on exerce », souligne Serge Caillier. Il regrette également que le recrutement « ne soit pas forcément effectué par rapport aux compétences. Dans la grille de salaire, on ne reprend pas l’historique et les compétences de la personne. Le fait d’avoir été titulaire n’est donc pas forcément un plus ». Pour sa part, il s’estime bien loti, d’autant plus qu’il occupe plutôt une fonction de remplaçant du titulaire. « J’ai davantage d’autonomie et de responsabilités », note-t-il. En outre, son implication en tant que syndicaliste et ordinal lui a permis de tirer son épingle du jeu. « Beaucoup de titulaires, y compris le mien, sollicitent mon avis. Il sait qu’il peut me demander conseil et n’hésite pas à le faire. Nous n’avons pas une relation classique de salarié et patron. La différence d’âge joue également, puisqu’il a 48 ans et moi 61. Il ne m’interroge pas parce que j’ai été titulaire, mais plutôt parce que j’ai eu et j’ai des responsabilités qui sont bien acceptées et reconnues. » Il estime que les deux expériences, celle de titulaire et celle d’adjoint, ont leurs avantages et leurs inconvénients. « Lorsqu’on est titulaire, c’est plus facile sous certains aspects. On a sa liberté, on organise son temps comme on veut. L’aspect organisation de l’entreprise et management m’intéressait particulièrement. » Un intérêt qu’il met désormais à profit pour seconder son titulaire, en s’occupant de la gestion des congés et des salaires et en s’impliquant dans l’organisation du travail. « Mon rôle en tant qu’adjoint est également de faire tampon entre le titulaire et l’équipe. » Le travail en équipe est d’ailleurs l’un des aspects qui lui tiennent le plus à cœur. Mais le plus important, pour cet ancien officier de la marine marchande, est surtout de diversifier ses activités. « Je suis quelqu’un qui aime bouger et faire des choses différentes. » Pour lui, l’expérience du passage de titulaire à adjoint pourrait être bénéfique des deux côtés de la barrière. « Pour bien "vivre" la pharmacie, il serait peut-être bon que les titulaires redeviennent de temps en temps adjoints et vice-versa », conclut-il.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion