LES RAISONS ne manquent qui devraient empêcher l’adoption d’une loi : même les partisans de l’interdiction, comme nous-mêmes, savent qu’elle constitue une atteinte aux libertés individuelles. Interdire un vêtement, cela peut aller jusqu’à remettre en question les décolletés profonds et les jeans trop serrés, ou l’attirail des excentriques qui se promènent avec des chapeaux haut de forme, des femmes qui portent des maquillages de scène, des barbus à lunettes dont le visage n’est pas plus reconnaissable que celui des femmes voilées. La possibilité d’une censure constitutionnelle (ou, auparavant, d’un avis négatif du Conseil d’État) semble annoncer l’entreprise avortée. Le risque d’une réaction très hostile de la communauté musulmane ne doit pas être écarté. Celui d’un danger venu de l’intégrisme à l’étranger non plus. Bref, la France se serait bien passée de ce problème, elle qui en a d’autres, et de plus sérieux, à résoudre.
Cependant, la burqa n’est pas une mode saisonnière appelée à disparaître l’année prochaine. Les femmes qui la portent, y compris les catholiques converties à l’islam, revendiquent leur piété. C’est l’amorce d’un mouvement, mais un mouvement profond dont personne ne peut dire où et quand il s’arrêtera. L’expérience prouve que, de nos jours, les idées les plus excentriques font florès. La burqa exerce une sorte de magnétisme sur les foules, elle satisfait leur désir de changer une société qui ne leur convient guère. Elle les fourvoie dans un excès qui n’est pas vestimentaire mais hautement politique. En revendiquant leur religion, les femmes intégralement voilées expriment une conviction que ne partagent pas du tout les imams de France (et même d’Égypte). On le leur a répété cent fois : la burqa n’est pas une prescription coranique, c’est une tradition venue d’Asie. En outre, se pose la question relative à l’ensemble des prescriptions religieuses pratiquées en contradiction avec la laïcité. Personne n’a le droit de dire que celle-ci n’est pas menacée par le voile intégral : après le communautarisme, le micro-communautarisme qui a bien l’intention de faire école.
Se pose ensuite la question des responsabilités publiques. Quand une vaste palette de leaders socialistes nous disent qu’ils sont hostiles à la burqa mais qu’une loi n’est pas nécessaire, ils nous renvoient à leur propre pratique verbale de la politique : on discute indéfiniment, on ne prend pas de décision. Le gouvernement, lui, doit assumer ses responsabilités. Il existe une procédure démocratique pour légiférer, il applique cette procédure. Il veut en tirer un avantage politique ? C’est donc que l’opinion le soutient. Il faut beaucoup de mauvaise foi à Marine Le Pen pour qualifier la loi de « publicitaire ». En réalité, elle est chiffonnée parce que la droite parlementaire ôte de son arsenal une des armes lourdes de sa prochaine campagne. Il lui aurait été bien plus facile de jeter droite et gauche dans le même sac de leur impuissance. Et après tout, le gouvernement peut bien faire de la politique, ce n’est pas la question. Ce qui compte, c’est ce que nous ressentons, nous. La burqa relève d’une intention politique. Elle est destinée à enfoncer un coin dans le beau principe de laïcité. La gauche dit : puisque cela correspond à une sournoise volonté d’attirer sur les porteuses de burqa l’appareil répressif, surtout évitons la répression. Mais l’alternative est vraie aussi : on ne fait rien, et bientôt des milliers ou dizaines de milliers de femmes la porteront, notamment les musulmanes qui ne voudront pas être harcelées publiquement par les intégristes. La burqa se répandra d’autant qu’elle constituera un accommodement avec le ciel.
Tout n’est pas acceptable.
Pourquoi nous priverions-nous d’écrire ici que nous préférons les décolletés à la burqa ? Comment ne pas voir que la femme au voile intégral se présente comme un être à part, supérieur, qui n’obéit pas aux habitudes communes, qui veut se singulariser à tout prix, qui ne veut avoir aucun rapport avec la société dans laquelle elle baigne ? On enrage quand on se souvient que, pendant l’Occupation, les Juifs étaient obligés de porter l’étoile jaune et que, aujourd’hui, des femmes arborent délibérément un signal propre à déclencher la vindicte publique. Et comment ne pas comprendre que, si le mouvement se développe, la gestion de la société deviendra impossible, difficultés administratives accrues, risques pour la sécurité, malaise général du groupe face à un seul voile ? Interdire, cela ne signifie pas pourchasser les voiles dans la rue, les arrêter, les envoyer au poste de police. Cela signifie qu’au principe de « je peux faire tout ce qui me plaît », la société française répond (après la Belgique) : « Votre liberté s’arrête là où elle nuit aux autres ». Depuis quand tout est-il acceptable en France ? Cela signifie que des agents de police, des fonctionnaires aux guichets, des enseignants dans les écoles rappelleront aux femmes revêtues de la burqa qu’elles sont en contravention avec la loi. Comme dirait Pierre Charon, le malaise changera de camp.
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