Le sociologue Razmig Keucheyan, déjà auteur d’un remarquable essai sur le constructivisme (Hermann, 2007), revient dans cette étude sur « les besoins artificiels ». Il scrute leur origine, la manière dont, en particulier, le système capitaliste les fabrique et nous en rend esclave.
On retrouvera dans ce livre beaucoup de Marx, et un peu de nostalgie pour qui n’a pas oublié les attaques sur la « société de consommation » et les besoins factices qu’elle crée – et qui se souvient notamment des « Choses », de Georges Pérec, qui signait toute une époque.
Une théorie critique des besoins passe par un examen de l’addiction à la marchandise, laquelle est finalement traitée sous l’angle du pathologique. Et c’est principalement aux États-Unis, on ne s’en étonnera pas, qu’une immense littérature est consacrée à la consommation pléthorique et aux compulsive shoppers. Le fond des analyses est de savoir si ces comportements relèvent de classifications bien connues, comme le fameux DSM (Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux).
De nombreux travaux cernent la personnalité qui devient « colonisée » dans le fait de lutter contre la tentation d’acheter. Là aussi, on élabore des typologies d’acheteur, en n’oubliant pas que « ce qui est consommé n’est pas tant la marchandise elle-même que les caractéristiques symboliques qu’elle renferme ». Un thème bien illustré par Pierre Bourdieu dans « la Distinction » (1979).
Ou, plutôt, ce qui est consommé au travers de la marchandise même, c’est le travailleur et sa vie dans tous ses aspects. Ainsi, dit Razmig Keucheyan, « sont exploités non seulement le travail proprement dit, avec son soubassement physiologique, mais encore les facultés cognitives, langagières et même affectives de l’individu ». C’est ce dernier tout entier qui devient marchandise, au point que l’auteur parle de biocapitalisme.
Un livre très fort, sur une aliénation plus actuelle que jamais.
Razmig Keucheyan, « Les Besoins artificiels - Comment sortir du consumérisme », Zones, 208 p., 18 €.
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