C’est dans la nuit du 4 mars 1984 que Libby, étudiante au Bennington College de Vermont, fut admise aux urgences du New-York Hospital à la demande de son médecin traitant, Raymond Sherman, dans un état associant fièvre et obnubilation. Dépressive, cette jeune fille de 19 ans, polymédicamentée, était notamment traitée par la phénelzine, un antidépresseur IMAO : elle avait présenté des signes évoquant un « refroidissement » le 1er mars puis son état s’était aggravé. Accueillie à 23 h 30 par deux internes, Luise Weinstein et Gregg Stone, ceux-ci ne surent poser un diagnostic face à la patiente, alors agitée et pyrétique. Devant faire face à l’afflux de dizaines de malades, ils lui administrèrent en IM 25 mg de mépéridine (= péthidine), un opioïde destiné à la sédater, puis se consacrèrent aux autres patients. Libby continua à s’agiter - de plus en plus -. Weinstein demanda à ce qu’on lui administre, de plus, de l’halopéridol. L’étudiante se calma, mais sa température s’éleva : à 6 h 30 du matin, elle était de 42 °C. Weinstein tenta de réduire cette hyperthermie mais la jeune fille fut victime d’un arrêt cardiaque. Elle ne put être réanimée. C’est l’interne qui avertit les parents de son décès. Et, précisément, Libby n’était autre que la fille de Sydney E. Zion (1933-2009), juriste et journaliste bien connu. L’enquête révéla qu’elle avait été victime d’un syndrome d’hypersérotoninergie induit par l’association de phénelzine à divers médicaments pro-sérotoninergiques : l’injection de péthidine avait aggravé son état et entraîné son décès.
Ses parents furent convaincus que la mort de Libby était le fait d’une prise en charge inadéquate. Comment des médecins pouvaient-ils ignorer que l’association de péthidine et de phénelzine est contre-indiquée ? Pourquoi les internes n’avaient-ils pas mieux suivi leur fille, se contentant de lui administrer de la péthidine ? Pour Sydney, les choses étaient claires : sa fille avait été victime d’un meurtre. Il porta l’affaire devant le tribunal.
Garde : pas plus de 24 heures
Le procès des médecins s’ouvrit en 1986. Les internes furent condamnés pour faute professionnelle. Mais, en appel, un jury d’expert entendu entre 1987 et 1989 conclut qu’une majorité de médecins, y compris des spécialistes, ignorait l’interaction entre phénelzine et péthidine. Pourtant, elle avait été signalée dès 1959 chez un patient tuberculeux traité par iproniazide et péthidine, décédé dans un tableau alors décrit comme d’« encéphalite toxique ». Un an plus tard, deux médecins américains, John A. Oates et Albert Sjoerdsma (1924-2014) décrivirent le même syndrome (dit alors « indolaminergique ») comme résultant d’une interaction entre antituberculeux et antidépresseurs : ils l’attribuèrent à un excès d’hydroxytryptamine (5-HT) consécutif à la prise de fortes doses de tryptophane. En 1991, les deux jeunes prescripteurs furent finalement relaxés.
Le syndrome d’hypersérotoninergie gagna en notoriété au début des années 1990 avec l’avènement des antidépresseurs IRS. En 1991, le psychiatre américain Thomas R. Insel en décrivit la clinique et proposa le terme de « syndrome sérotoninergique ». Malgré son importance (une étude a montré qu’il avait été en 2002 à l’origine de 7 349 cas et de 93 décès aux États-Unis), les enquêtes prouvent que près de 85 % des généralistes ne le connaissent que peu voire pas…
Mais l’affaire Zion eut une autre conséquence. Elle fut à l’origine, en 1989, du vote d’une loi (Libby Zion Law) qui restreignit à 80 heures/semaines la durée maximale de travail des médecins hospitaliers dans l’état de New York, et limita à… 24 heures la durée d’une garde, car il s’avéra que la mort de Libby était principalement consécutive à l’épuisement des internes… Ce principe fut généralisé à tous les États-Unis en 2003.
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion