Il est 20 h 45 ; la pharmacie de la Porte des Alpes à Saint-Priest (près de Lyon) s'apprête à fermer ses portes. En réalité, l'activité va se poursuivre tout au long de la nuit au sein de guichets aménagés, facilement accessibles depuis l'extérieur.
« Vers 20 h 45, nous commençons à orienter les patients encore présents dans l'espace client vers le guichet de nuit, ce qui permet à l'équipe de jour de fermer la pharmacie », explique Yohan Giffard, un des pharmaciens adjoints qui assure le service pharmaceutique de nuit. Chaque semaine, ce pharmacien de 40 ans assure deux nuits de douze heures consécutives (20 h 00 à 8 h 00). « Nous sommes seuls pendant les horaires de nuit, sauf le samedi soir où un étudiant nous aide jusqu'à 23 h 00. » En France, plusieurs dizaines de pharmacies ont choisi d'ouvrir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à Paris comme en province. « Dans ce cas, ce sont les articles L 51.25-22 et R.42.35-49 du Code de la santé publique relatifs aux services de garde et d'urgence qui s'appliquent, rappelle Marie-Pierre Sanchez, pharmacien inspecteur de santé publique à l'ARS Nouvelle-Aquitaine. Si le pharmacien choisit cette option, l'ouverture doit être assurée toute la nuit. Autre exigence évidente, une présence pharmaceutique est requise. »
Savoir gérer l'urgence, mais pas seulement
Dans la région parisienne, Alexandra H est adjointe dans une pharmacie ouverte toute la nuit : « La pharmacie ferme à 2 heures, en même temps que le centre commercial dans lequel nous sommes installés. Après 2 heures, un pharmacien assure le service pharmaceutique via un guichet. » À Villeurbanne, la pharmacie des Gratte-Ciel propose également ce service continu. Comme à Saint-Priest et à Paris, un guichet est aménagé pour recevoir les patients et délivrer les ordonnances.
Adjoint dans une autre pharmacie située dans la périphérie de Lyon, Julien Oehler travaille en complément à la pharmacie des Gratte-ciel depuis 2 ans, où il assure le service de nuit plusieurs fois par semaine : « Je connais bien cette pharmacie parce que j'y ai travaillé de 2007 jusqu'à la fin de mes études. C'est un énorme avantage de maîtriser le système informatique et l'automate. La pharmacie dispose de trois étages, donc il vaut mieux savoir comment elle est organisée et où sont rangés les produits. » Parce que la nuit, il y a toutes sortes de demandes, comme en témoigne le jeune pharmacien de Villeurbanne : « Au fur et à mesure des années, je me rends compte que la demande évolue ; les prescriptions d'antibiotiques ou d'antalgiques restent nombreuses, mais on se met à vendre de tout la nuit. » À Bordeaux aussi, certaines ventes paraissent étonnantes, très éloignées de la situation d'urgence. « Il m'est déjà arrivé de vendre des crèmes dépilatoires à 4 heures du matin », se souvient Alexandre Zukowski, pharmacien adjoint à la pharmacie des Capucins. Ce jeune pharmacien nous confie avoir accepté cet exercice de nuit, deux nuits toutes les deux semaines, pour des raisons financières (voir ci-dessous).
Rappeler les messages de bon usage
À Bordeaux, Lyon ou Paris, les adjoints qui exercent la nuit n'en restent pas moins des pharmaciens, conscients de l'importance d'une délivrance de qualité. Pour Alexandra H, à Paris, « on peut toujours faire du conseil, ça ne prend pas plus de temps ». Une vision du métier partagée par Yohan Giffard : « On fait notre métier comme on le ferait le jour, en associant les explications de bon usage des médicaments et en indiquant les posologies sur les boîtes. On doit juste être un peu plus rapide parce qu'on est seul à servir, et que d'autres patients attendent. » Pour Alexandre Zukowski, l'important est de « savoir bien gérer son temps, c'est-à-dire être rapide sans rogner sur les explications relatives au traitement. Je fais plutôt l'impasse sur le conseil associé, qui n'est pas indispensable en situation d'urgence ».
À la pharmacie des Gratte-Ciel, l'accueil de nuit doit être le même que le jour. « Même en pleine nuit, je m'efforce d'accueillir les patients avec un sourire ; j'avoue que ce n'est pas toujours facile. Mais je n'envisage pas une seconde de donner les boîtes de médicaments sans un mot, comme une marchandise quelconque », confie Julien Ohler. « Nous sommes également sollicités au téléphone, pour apporter des conseils d'utilisation des médicaments ou orienter vers une consultation médicale si besoin », ajoute le pharmacien de Villeurbanne.
Les clients de nuit ne sont pas ceux qu'on imagine
On s'imagine facilement que la nuit, l'exercice est plus dangereux et que la sécurité doit être renforcée. Ce n'est pas l'impression des adjoints qui assurent le service de nuit. « Il n'y a pas plus de clients agressifs la nuit. Une fois, un homme a cassé la vitre du guichet mais c'est un cas isolé. En cas d'incident ou de malaise d'ailleurs, je peux demander l'aide du vigile du centre commercial », explique Yohan Giffard. Même constat à Villeurbanne, pour Julien Ohler : « Comme en journée, il peut y avoir des gens qui s'énervent. Depuis que je fais les nuits, je n'ai jamais eu à appeler la police. On a peut-être plus d'ordonnances trafiquées, mais les fraudeurs n'insistent pas quand on leur dit non. Cet été, un homme a été virulent à mon égard parce qu'il ne voulait pas le générique. Il a fini par entendre raison et est parti avec le traitement délivré. » C'est presque le contraire que le pharmacien lyonnais constate : « La nuit, les patients attendent en file bien rangée. Ils sont plus courtois et échangent entre eux, comme s'ils se soutenaient. » Comme à Lyon, Alexandra H remarque une certaine sérénité la nuit : « Les gens sont plus relaxés ; ils ne sont pas pressés par le travail, les transports ou les horaires. Cette attitude favorise le dialogue, les langues se délient. »
Les limites de l'exercice nocturne
Si le travail de nuit est une expérience intéressante, la plupart des adjoints se retrouvent seuls, et cette solitude est pesante. « Le travail d'équipe, l'investissement dans d'autres missions officinales, tout cela me manquerait aujourd'hui si je ne faisais que des nuits », confie Alexandre Zukowski. Pour l'organisme, les horaires nocturnes sont difficiles à gérer, comme le souligne Yohan Giffard : « C'est de passer du jour à la nuit qui est plus compliqué. C'est un peu comme un décalage horaire. » La vie personnelle subit aussi les conséquences de ces horaires hors normes. À Paris, même si elle ne fait jamais la nuit complète, Alexandra H en ressent les contraintes : « Quand j'ai commencé, j'avais une appréhension par rapport aux conséquences sociales et personnelles. Effectivement, on se retrouve en décalage avec les autres, les amis ou la famille. Ce qui est sûr, c'est que ces horaires sont peu compatibles avec une vie de famille. »
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