Promouvoir les nouvelles missions du pharmacien

Une communication dans l'impasse déontologique

Publié le 23/02/2023
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Quelle est la marge de manœuvre pour communiquer sur les nouvelles missions réalisées en pharmacie ? À cette question les pharmaciens peinent à répondre, toujours suspendus aux évolutions de leur code de déontologie. En attendant, les titulaires marchent sur des œufs.
Durant la crise sanitaire les pharmaciens avaient pu communiquer sur la réalisation des tests

Durant la crise sanitaire les pharmaciens avaient pu communiquer sur la réalisation des tests
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

En juillet 2020, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens a relancé des travaux dans le but de modifier le projet de code de déontologie. Les discussions devant notamment intégrer les évolutions du métier du pharmacien qui ont trait à ses nouvelles missions de santé et la possibilité de communiquer sur elles. Autant de missions qui ont vocation à être connues, dans la mesure où celles-ci doivent simplifier le parcours de soins du patient, faciliter l'accès aux soins en étant un premier recours dans certaines situations et faciliter l'information du patient.

Un texte toujours en attente

L’Ordre des pharmaciens indique sur une page dédiée qu’à « l’issue d’une délibération du Conseil national en date du 4 octobre 2021, un nouveau projet a été approuvé et a été transmis au ministère de la Santé », dans le but d’aboutir à un texte réglementaire. Et depuis ? Et bien les choses stagnent. C’est donc toujours les bonnes vieilles règles qui priment.

S’il est a priori légal pour une pharmacie de communiquer, « elle devra le faire avec "tact et mesure", ce qui veut tout dire et rien dire, c’est une formule opérationnelle très floue… », fait remarquer Pierre-Xavier Frank, directeur des Affaires pharmaceutiques du Giphar, qui fait ici référence à l’article R-4235 30 du code de déontologie. Dans sa version commentée, l’Ordre précise que la publicité ne doit pas être assimilée à une activité de démarchage ou de sollicitation portant atteinte au libre choix du malade. Dès lors, difficile de mettre en avant les différentes nouvelles missions/compétences du pharmacien qui le mettrait automatiquement en concurrence avec le voisin.

L’engagement du titulaire impacté

« Compte tenu du fait que le pharmacien est tenu au code de déontologie toujours en vigueur, il n’est pas autorisé à valoriser son offre servicielle, qui a énormément évolué ces dernières années », explique Pierre-Xavier Frank. Faute de pouvoir en faire la promotion, les bilans partagés de médication, entretiens pharmaceutiques, entretiens sur les chimiothérapies ciblées, tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) d’angine… sont autant de compétences que le public ignore, regrette la profession.

À l’heure actuelle, communiquer autour des nouvelles missions du pharmacien passe encore et toujours par la force de la preuve. Pour faire simple, « le pharmacien peut informer un patient des différentes missions qu’ils proposent, mais au comptoir au moment de la dispensation », précise Pierre-Xavier Frank.

D’autant que la question de la communication sur les nouvelles missions tend à se complexifier. Car pendant que le code de déontologie n’évolue pas, les supports de communication, eux, se transforment. Réseaux sociaux, panneaux digitaux, sites internet… Comment un pharmacien peut-il utiliser tous ces nouveaux modes de communication ? En théorie, les principes qui s’appliquent en pharmacie doivent s’appliquer partout, quel que soit le support, digital ou non.

Le cas Covid

De l’avis de Pierre-Xavier Frank, il est difficile pour les professionnels de savoir réellement sur quel pied danser lorsqu’il s’agit de communiquer sur leurs différentes missions. Urgence sanitaire oblige, « avec le Covid et la réalisation de tests en pharmacie, a été donné possibilité de communiquer largement sur un service pourtant pris en charge par la sécurité sociale. Alors pourquoi pas les autres ? » interroge-t-il.

Me Pierre Desmarais, avocat spécialisé dans le droit de la santé et les nouvelles technologies, est catégorique : « Il n’y a pas vraiment de flou juridique », mais une « vraie volonté » des pouvoirs publics de restreindre la communication professionnelle sur les supports traditionnels et digitaux. Dans les faits, « même si certaines pharmacies communiquent, c’est une quasi-impossibilité à quelques exceptions près ». Et la chambre disciplinaire peut facilement être saisie…

Me Desmarais donne un exemple. « Afficher en vitrine "Ici, on fait des tests Covid" est encouragé par les pouvoirs publics. Mais afficher "Ici, nous faisons de la télémédecine" pourrait être appréhendé comme un avantage concurrentiel d’une officine », estime Pierre Desmarais, et donc sanctionnable. La frontière est mince.

Victor Miget

Source : Le Quotidien du Pharmacien