LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Lors de vos vœux en janvier dernier vous aviez souhaité que soient préservées l’attractivité et la compétitivité industrielles de notre pays. Que manque-t-il aujourd’hui à la France pour que votre vœu soit exaucé ? Comment analysez-vous les 10 dernières années écoulées ?
CHRISTIAN LAJOUX.- Les entreprises du médicament évoluent dans un environnement international, régi par une concurrence de plus en plus grande, non plus seulement entre les entreprises, mais entre les États. Dans un contexte de mutation scientifique et industrielle sans précédent, face aux ambitions nouvelles de grands pays émergents, les critères de l’attractivité sont déterminants pour les investissements des groupes internationaux.
En la matière, ces dix dernières années sont plutôt allées dans le bon sens en France. Elles ont vu la confirmation ou la mise en place d’instruments conventionnels efficaces, à l’exemple de l’accord-cadre avec le Comité économique des produits de santé ou du Conseil stratégique des industries de santé. Ces instruments, alliés à des réformes volontaristes comme l’autonomie des universités ou le crédit d’impôt recherche, ont été très favorablement perçus sur le plan international. Pour confirmer cette tendance favorable, et infléchir les mauvais signaux qui ont été émis dans le cadre du débat sur la réforme du médicament, il est essentiel que les instruments du dialogue continuent d’être favorisés, que la régulation s’opère dans le champ conventionnel, et que l’État s’engage par des actions fortes, structurantes et ambitieuses pour permettre à la France de demeurer un grand pays industriel des sciences du vivant.
L’industrie pharmaceutique française mise beaucoup sur le développement des biotechnologies. Y a-t-il d’autres raisons de croire au dynamisme du marché hexagonal ?
La recherche est en évolution permanente et rapide. Les nouvelles technologies liées à l’informatique, la meilleure connaissance du génome humain, nous permettent aujourd’hui d’entrer dans l’ère d’une médecine individualisée, dans laquelle le médicament s’inscrit dans des solutions de santé plus globales. En parallèle, nous assistons au développement des biotechnologies, caractérisé par de nouvelles méthodes de R & D et de production. La France dispose d’une importante filière de sociétés de biotechs Santé, avec des technologies déjà bien implantées - je pense au vaccin, aux protéines recombinantes, à la thérapie génique - et des technologies très prometteuses, notamment dans le domaine des nanotechnologies et des thérapies cellulaires. À côté de cette filière industrielle relativement jeune, qui doit être soutenue, il ne faut pas négliger le poids de la France dans la recherche et dans la production de médicaments chimiques. Le dynamisme de la recherche clinique, le développement de partenariats entre les chercheurs de l’industrie et les acteurs de la recherche publique, le renforcement de la recherche translationnelle, sont autant de facteurs qui concourent à faire de la France un acteur mondial de la recherche, notamment dans le domaine du cancer, des neurosciences, et des maladies infectieuses.
Ce qui préoccupe les industriels, ça n’est pas tant la fécondité de la recherche que la capacité du pays à accueillir l’innovation, à générer un cadre réglementaire et fiscal stable, à assurer une formation adaptée aux étudiants, à soutenir les partenariats de recherche. L’attractivité de la recherche passe par une évaluation du médicament modernisée et dynamique, qui permette un accès rapide aux médicaments innovants. Or, depuis 2011, on a constaté un ralentissement brutal de l’accès au marché de nouveaux médicaments, ce qui suscite de très grosses inquiétudes, tant chez les industriels que chez les médecins et les patients…
Conséquence de l’affaire Mediator, la nouvelle loi de renforcement de la sécurité sanitaire prévoit entre autres mesures, le contrôle a priori de la publicité, la transparence sur les liens d’intérêts, des études post AMM… Comment cette nouvelle donne réglementaire va-t-elle impacter la productivité des industriels du médicament ?
Il est d’autant plus difficile de vous répondre que nous sommes en attente de la publication d’une grande partie des textes réglementaires relatifs à cette loi. Nos entreprises sont, depuis des mois, plongées dans une incertitude pénible, avec une loi promulguée, et donc opposable, mais dont les modalités d’application nous sont encore totalement inconnues. C’est pourquoi nous attendons des pouvoirs publics qu’ils éclaircissent sans tarder les zones d’ombre de la loi. Pour prendre le cas de la transparence des liens, il y a urgence à engager un véritable dialogue avec les industriels, mais également avec les professionnels de santé, sur la mise en œuvre de cette transparence, à laquelle notre secteur est attaché, en prenant garde à se conformer au droit européen et aux dispositions de la loi informatique et liberté et enfin, en tenant compte des problèmes épineux de mise en œuvre pratique. Nous espérons que le nouveau gouvernement trouvera la force de surmonter les idées reçues et les préjugés, pour élaborer un cadre réglementaire qui permette aux entreprises, aux experts, aux autorités sanitaires, de développer des conditions d’exercice à la fois transparentes et efficaces.
La qualité des matières premières pharmaceutiques, pour bonne part importées d’Asie, est parfois critiquée. Quels garde-fous l’industrie française met-elle en œuvre pour éviter le pire, à savoir une dégradation de la qualité de ses produits finis ?
Sur ce sujet, la France soutient et même anticipe les dispositions européennes, visant, au travers de la directive anti-falsification et ses textes dérivés, à renforcer la traçabilité des matières premières et des médicaments. Pour leur part, les fabricants français de médicaments tentent au maximum d’anticiper les risques potentiels en renforçant les contrôles in situ en pays tiers par des audits et des inspections, en sécurisant les circuits d’approvisionnement et de distribution pour éviter l’introduction de falsifications lors des transferts, et enfin en contrôlant de manière approfondie les matières à réception pour déceler les éventuelles non-conformités avant mise en fabrication.
Côté autorités, les distributeurs et les fournisseurs de matières premières français sont également connus et contrôlés par l’ANSM. La réglementation européenne va renforcer plus encore, dès 2013, les obligations légales en termes d’audits, d’inspections, et de traçabilité de la chaîne logistique…
Comment l’industrie pharmaceutique appréhende-t-elle les problèmes posés par la contrefaçon et la vente de médicaments sur internet ?
Le marché de la contrefaçon représente plus de 10 % du marché mondial des médicaments. La France est encore épargnée, du fait notamment de la qualité de son système de distribution et d’un système de protection sociale qui facilite l’accès des patients à des médicaments de qualité. Cependant, la généralisation des achats sur Internet démontre qu’il n’existe plus, dans le monde, de sanctuaire inviolable en matière de circulation de produits contrefaisants. Très récemment, en janvier 2012, le Conseil Stratégique des Industries de Santé a ainsi arrêté une mesure prévoyant la mise en place d’une « unité de vigilance anti-contrefaçon de produits de santé » afin de renforcer la coordination entre les différents partenaires - les fournisseurs d’accès Internet, les fournisseurs de moyens de paiement, les transporteurs… - et d’établir ce que l’on pourrait appeler une « cartographie de la menace ». L’industrie est évidemment partie prenante de cette démarche, qui va dans le sens de son engagement ancien dans la lutte contre les contrefaçons, en coopération étroite avec les autorités administratives, policières et douanières, tant au niveau français qu’au niveau international.
Les officinaux déplorent trop souvent la pauvreté du dialogue avec les laboratoires. Que fait le LEEM pour rétablir ce lien quelque peu distendu avec les pharmaciens ?
Le LEEM a toujours entretenu des rapports étroits et réguliers avec les syndicats de pharmaciens, ainsi qu’avec leurs représentants ordinaux. Grâce à la loi HPST, et grâce à leur nouvelle Convention pharmaceutique, les officinaux sont appelés à jouer un rôle de plus en plus déterminant dans le suivi et l’accompagnement des patients. Il y a là une évolution dont nous devons tenir compte, et sur laquelle de nouvelles relations peuvent se bâtir entre les entreprises du médicament et ces professionnels de santé que sont les pharmaciens. Il faudra peut-être un peu de temps, un effort de pédagogie de part et d’autre, mais je ne doute pas qu’un nouveau dialogue, plus dense et plus constant, saura voir le jour dans les prochaines années.
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %