2021, année hors norme. Et certainement destinée à le rester tant les indicateurs sont exceptionnellement tous au vert. Au premier rang, l'excédent brut d'exploitation (EBE) qui bondit à 279 100 euros, et représente désormais 13,47 % du chiffre d'affaires, contre 12,62 % un an auparavant. Ce sont par conséquent 33 300 euros supplémentaires qui ont été engrangés en moyenne par officine au cours de l'année 2021.
La raison de cette embellie n'est un secret pour aucun observateur du marché. L'officine doit en premier lieu cette performance spectaculaire à la réalisation des tests antigéniques (TAG), même s'ils ont parallèlement provoqué une hausse des coûts de personnels de 10 000 euros. « Sans les TAG, l'EBE n'aurait progressé que de 5 000 euros ! », remarquent les experts-comptables du réseau CGP à l'origine de ce bilan chiffré (1). La marge brute globale suit la même courbe et gagne près de 50 000 euros pour atteindre 651 100 euros, soit 31,42 % du chiffre d'affaires. Là encore, un gain de 31 700 euros est imputable aux TAG. Comme ne manquent pas de le noter les experts-comptables, la marge brute globale une fois pondérée, c’est-à-dire exempte des TAG, n'atteindrait plus que 30,53 % du chiffre d'affaires, un ratio bien inférieur à celui de 2019 ! Cette inflexion de la marge (retraitée en 2021) est observée depuis plusieurs années par les experts-comptables, du fait de la pression des médicaments chers. « Raison de plus pour suivre la marge en valeur et non en taux ! », conseillent-ils.
Emballement
Enfin, autre indicateur lui aussi dopé par les TAG, le chiffre d'affaires qui grimpe de 6,36 % et franchit le cap des 2 millions d'euros, le dépistage contribuant pour 1,7 point à cette progression. Une lecture détaillée de l'activité en 2021 permet de relever ces effets des TAG sur l'activité officinale. Et, dans une moindre mesure, l'impact économique de la vaccination, dont la manne est estimée entre 3 000 et 7 000 euros selon les officines. Les mois d'avril, d'août et de décembre, marqués par un déconfinement ou l'instauration du passe sanitaire, font ainsi état de pics d'activité atteignant 16,51 %, 11,77 % et 16,83 % par rapport à l'année précédente. Un emballement qui s'est poursuivi jusqu'en janvier 2022 puisqu’une hausse d'activité de 25 % est estimée par les experts-comptables.
Cette euphorie liée aux TAG ne doit cependant pas occulter d'autres éléments structurels de la croissance de l'activité officinale. Phénomène désormais récurrent, la part des médicaments chers continue de progresser pour atteindre une hausse jamais égalée, à 27 %. Ces produits, au prix de vente supérieur à 1930 euros, contribuent ainsi largement à la hausse de 4,1 % du segment du médicament remboursable (TVA 2,1 %), porté lui-même par une reprise des prescriptions à hauteur de 4 points. De manière générale, les médicaments dont le prix excède 150 euros voient leur part augmenter de 16,2 % en douze mois. Ils contribuent désormais pour 32,1 % au chiffre d'affaires, contre 29,4 % il y a encore un an.
Pour autant, ce phénomène est à analyser avec circonspection, tant cette prépondérance des médicaments chers brouille la lecture des comptes, principalement les indicateurs de rentabilité. « Ce ratio est à suivre de très près, insistent les experts-comptables, notamment dans les dossiers de reprise d'officines car il explique la composition de la marge. Ce sont des documents qu'il faut absolument obtenir en cas de transaction. » Ceci d'autant plus que, pendant ce temps, le marché accuse une nouvelle baisse des prix du médicament de l'ordre de 1,48 %.
Dans ce contexte, les honoraires de dispensation s'imposent plus que jamais comme un élément stabilisateur de l'activité officinale. L'analyse du bilan ne peut plus faire l'économie de cette rémunération. Avec un volume de 219 000 euros, dont 76 700 d'honoraires à l'ordonnance, ils représentent désormais 10,57 % de l'activité globale et 15 % du chiffre d'affaires sur le médicament remboursable. De même, la marge brute globale dégagée par les honoraires de dispensation s'élève à 142 300 euros, et contribue pour près de 60 % à la marge sur le médicament remboursable (pour 30 % à la marge brute globale, toutes activités confondues). Mécaniquement, la part de la marge sur les ventes se réduit pour ne plus atteindre que 20,37 %, contre 24,05 % en 2018, première année de la mise en œuvre de l'avenant 11.
Toutes les officines progressent
Il n'en reste pas moins que tous les autres segments se sont eux aussi bien comportés en 2021. Les produits de TVA à 5,5 % marquent une hausse de 3,76 %, boostée par les compléments alimentaires qui, à + 11 %, prennent le relais d'un OTC en perte de vitesse. Celui-ci cependant se relève légèrement de 1,30 point après une chute brutale de 6,42 % en 2020. Le quatrième semestre est venu sauver ce segment fortement sinistré par l'absence de pathologies hivernales en début d'année. Après une année très flat en 2020, la para progresse à nouveau. Le segment de TVA à 20 % enregistre une hausse de 5,1 points, qu'il doit principalement aux ventes de dispositifs médicaux et des produits de la LPP.
Fait notable, le redressement de tous les segments d'activité profite à l'ensemble des pharmacies. « Sur cet exercice, toutes les officines progressent quelle que soit leur situation géographique ou leur taille », se félicitent les experts-comptables. Après avoir enchaîné cinq années de baisse consécutives, les officines de moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires bénéficient d'une embellie à +2,84 %. Pour la première fois, le lieu de l'implantation de l'officine influence peu les performances. En milieu rural et dans les centres-villes, le chiffre d’affaires grimpe de plus de 7 %. Suivi des centres commerciaux qui progressent de 6 %. Tandis que 5 % de hausse sont enregistrés dans les gros bourgs et les quartiers. Les records de l'été, cités plus haut, sont en revanche logiquement détenus par les officines des sites touristiques.
Le facteur taille
Malheureusement, cet effet ne se reflète pas sur la rentabilité. 18 % des officines de l'échantillon CGP subissent une baisse. Ainsi, l'EBE des officines de moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires perd 3 500 euros en valeur absolue et ces petites structures doivent désormais se contenter de 92 300 euros pour rémunérer le titulaire, rembourser les emprunts le cas échéant, et assurer un niveau de trésorerie acceptable ! Une nouvelle alerte sur des disparités déjà relevées dans le réseau avant 2020 mais que la crise sanitaire n'a fait qu'accentuer. La faute à l'exiguïté des locaux et aux difficultés à recruter du personnel pour réaliser les TAG et la vaccination. Voire, signalent les experts-comptables, à un niveau d'endettement résultant d'un prix élevé payé lors de l'acquisition.
C'est ainsi qu'un tiers des officines ne s'est pas engagé dans le dépistage. Ce constat, une nouvelle fois, interpelle sur l'accès aux soins et plus généralement sur l'avenir du maillage officinal. Le déploiement des nouvelles missions dans la convention pharmaceutique, signée le 9 mars, pilier de nouvelles rémunérations, ne risque-t-il pas de creuser encore davantage le fossé ? Voire de précipiter la chute de ces petites pharmacies ? Il y a de toute évidence un effet taille, sinon une taille critique, constatent les experts-comptables.
Ce facteur joue désormais un rôle essentiel sur le marché des cessions, avec un risque accru de dévalorisation des petites officines. « Nous constatons des tensions sur les prix provoquées par une course à la taille, l'espace étant désormais primordial pour réaliser les nouvelles missions », observent-ils. Depuis deux ans, le marché flambe à nouveau, les prix équivalant désormais à 7,10 fois l'EBE retraité (2), contre 6,78 en 2020. Un ratio inédit depuis 2004-2005 de mémoire d'experts-comptables. Tandis que le prix moyen d'une officine sur l'échantillon sélectionné par CGP atteint 1,587 million d'euros, les disparités sévissent. Les plus petites officines (chiffre d'affaires inférieur à 1 million d'euros) ne sont valorisées qu'à 6,76 fois l'EBE (ou 47 % de leur chiffre d'affaires), alors que les plus grandes (chiffre d'affaires supérieur à 2 millions d'euros) se voient appliquer un facteur de 7,29 (92 % de leur chiffre d'affaires). Quant à l'officine moyenne (entre 1 et 2 millions d'euros de chiffre d'affaires), son prix représente 6,97 fois son EBE (ou 80 % de son chiffre d'affaires). Les experts-comptables recommandent à l'avenir d'exclure absolument l'EBE des bilans de la période Covid comme indice de référence pour fixer le montant de cession de l'officine. Une surenchère doit être évitée. Une bulle financière encore davantage.
(1) Sur un échantillon de 1 794 officines, dont 21,54 % sous statut EURL et SARL, 65,02 % en SEL, 8,62 % en entreprise individuelle et 4,87 % en SNC. 45,22 % des officines étudiées ont un chiffre d'affaires entre 1 et 2 millions d'euros, 18,60 % entre 2 et 2,5 millions d'euros, 4,15 % de plus de 4 millions et 9,90 % de moins d'un million.
(2) EBE auquel est déduit le coût du travail du titulaire calculé sur une base annuelle nette de 42 000 euros, soit 3 500 euros nets mensuels.
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