LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Comment jugez-vous ces cinq années passées à la tête du CISS ?
CHRISTIAN SAOUT.- Ce quinquennat me laisse un sentiment partagé. Je me réjouis d’avoir contribué à faire admettre que les usagers avaient un rôle à jouer à la tête du système de santé car ils avaient un avis pertinent sur un certain nombre de sujets. Des thèmes tels que les dépassements d’honoraires, les déserts médicaux, ou encore la question de la coordination du parcours de soins occupent ainsi une place prépondérante dans le débat public. Je regrette toutefois de n’avoir pu obtenir la pleine reconnaissance du statut de patient. La notion française d’usager est en effet en phase avec les idéaux de la République, mais pas avec le moteur de la réforme, qui nécessite de reconnaître une place centrale aux patients. J’en veux d’ailleurs pour preuve la notion de parcours de soins, qui est encore trop floue.
Concrètement, que souhaiteriez-vous pour le parcours de soins ?
Les plans cancer ont permis d’instaurer la consultation d’annonce, le dossier cancer coordonné, le plan personnalisé de soins, ou encore le plan personnalisé d’après cancer. Ce sont des avancées importantes, mais elles manquent de coordination. Or les questions d’organisation des soins et de coordination du parcours nécessitent des réponses structurantes. Et les associations de patients étant aux avant-postes des combats pour l’excellence dans le système de santé, elles sont clairement les plus à mêmes d’y réfléchir. La problématique du droit des malades ayant été beaucoup travaillée, le CISS doit donc s’approprier la notion du parcours de soins qui, aujourd’hui, est indéniablement la plus importante.
Diverses coopérations interprofessionnelles ont pourtant vu le jour ?
À l’instar du plan maladies rares, du plan Alzheimer, ou encore des plans cancer, les grands plans de santé publique ont contribué à rapprocher les professionnels de santé impliqués dans la prise en charge d’un patient. La prise en charge des patients souffrant de pathologies chroniques s’est ainsi incontestablement améliorée. La coordination des soins reste cependant encore trop peu développée. Il faut donc aller beaucoup plus loin et encourager les coopérations professionnelles. À charge pour les pouvoirs publics de mettre en place un outil adapté pour échanger des informations et d’encourager les délégations de tâches entre professionnels de santé.
L’assurance-maladie aurait-elle les moyens de mener une telle politique ?
Bien évidemment ! Ce n’est qu’une question de volonté. Or l’assurance-maladie se trouve surtout confortablement installée dans le principe de négociations conventionnelles telles qu’elles existent aujourd’hui. C’est d’autant plus regrettable, que la solution passe nécessairement par une sortie partielle de la rémunération à l’acte des médecins et la mise en place d’une rémunération forfaitaire liée à des missions de service public. Et, à l’instar de ce qui se passe dans nombre de pays, où des missions de service public sont confiées à des sociétés privées, cette évolution n’est en rien antinomique avec l’exercice d’une profession libérale. Malheureusement, les acteurs impliqués préfèrent demeurer dans une logique d’ajustements conjoncturels des revenus en fonction des consultations. Il faudrait pourtant mêler rémunération à l’acte, rémunération forfaitaire et rémunération à la performance.
Pourquoi cette mixité de la rémunération ne voit-elle pas le jour ?
Par manque de connaissance sans doute et par manque de courage politique sûrement ! Et cette évolution dépasse le seul cadre des médecins. Il serait ainsi tout à fait logique que l’ensemble des professionnels de santé soient rémunérés pour des missions de services publiques. Dans cette optique, une rémunération forfaitaire par patient pourrait être fortement incitative pour les professionnels de santé quels qu’ils soient. Et, à ce titre, l’orientation prise par les pharmaciens est révélatrice de la direction à prendre.
Quelle place pourrait occuper l’éducation thérapeutique dans cette perspective ?
Elle est centrale, à la fois pour les patients et pour les professionnels de santé. Il est toutefois regrettable que les lobbys aient influencé le texte pour rendre obligatoire la présence d’un médecin dans tous programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP). Les pharmaciens pourraient, par exemple, parfaitement concevoir et gérer un programme d’ETP, en partenariat avec des patients experts. Pour autant que la notion de programme ait un sens en la matière…
La mise au point de système d’information n’est-elle pas un préalable indispensable à une meilleure organisation du système de santé ?
Je ne pense pas que l’électronique puisse réparer le système de santé. Je tiens en outre à rappeler que le CISS est fondamentalement opposé à la transmission d’informations sur une clé USB, car celle-ci risque fort de fonctionner comme un stigmate. Je ne suis pas convaincu, d’ailleurs, qu’il faille tout le dossier médical pour soigner correctement un malade. De ce point de vue, le dossier pharmaceutique est une expérience riche d’enseignement. Alors qu’il était censé limiter le risque iatrogène, je n’ai pas constaté de diminution significative de l’iatrogénie. Il n’en faut pas moins utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Mais pour des choses simples. Il faudrait ainsi que, à la sortie de l’hôpital, l’ordonnance parte immédiatement chez le pharmacien, ou encore qu’une adaptation de la posologie d’un médicament puisse être transmise électroniquement.
Dix ans après sa promulgation, la loi sur le droit des malades constitue-t-elle une avancée pour les patients ?
Ce texte a indiscutablement fait progresser les droits individuels des patients. Pour preuve : le droit d’accès au dossier, le droit à l’information des patients, ou encore le droit à réparation devant des commissions d’indemnisation, sont autant d’exemples qui montrent que les lignes ont bougé. Les droits collectifs, en revanche, n’ont que trop peu bénéficié des avancées de ce texte. La représentation des usagers et leur participation aux processus de décision n’ont ainsi que peu progressé. Sans parler des droits d’alerte qui sont quasiment restés lettre morte, puisque les associations de patients n’ont toujours pas le moyen de saisir l’administration pour obtenir l’affichage des prix ou faire cesser un trouble à la santé publique. C’est d’autant plus regrettable que le changement générationnel est propice à cette évolution. Il manque donc un volet financier à ce texte, pour que la représentation des usagers puisse correctement fonctionner. Et, pour être précis, il faudrait environ quinze millions d’euros chaque année pour que les associations de patients puissent occuper tous les sièges qu’elles devraient occuper. À charge, donc, à l’assurance-maladie de donner aux patients les moyens d’exister.
Est-ce à dire que la démocratie sanitaire est un vain mot ?
Sur le papier, la démocratie sanitaire existe, puisque la conférence nationale de santé et les conférences régionales ont été émises en place. Dans les faits, néanmoins, les associations de patients pâtissent des faibles moyens qui leur sont alloués. Il n’est pas étonnant, dès lors, que certaines problématiques de santé publique, comme la prévention ou les luttes contre les addictions, restent quasiment lettres mortes. Et les choses ne risquent pas de s’arranger, puisqu’aucun crédit n’a été alloué aux associations de patients par la loi de financement de la Sécurité sociale…
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