Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la pandémie de Covid-19 a tué environ 15 millions de personnes dans le monde à fin 2021. Cette nouvelle estimation dévoilée le 5 mai, basée sur de sérieuses études de modélisation, est très éloignée des 5,4 millions de morts officiellement comptabilisés grâce aux compilations effectuées par la même OMS en s’appuyant sur les déclarations de chaque pays. Surtout, elle souligne l’importance d’être mieux préparé à tout niveau lorsque la prochaine épidémie surgira.
« Pour se battre, il faut des traitements et des vaccins : l’innovation est la clé », lance Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-MIE et chef du service maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat-Claude Bernard à Paris. Mais innover ne se fait pas du jour au lendemain, souligne Roger Le Grand, directeur du département Infectious diseases models for innovative therapies (IDMIT) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). « Quelles que soient les technologies utilisées, il y aura toujours un temps incompressible de développement nécessaire, même en ayant à disposition de nombreux scientifiques et de forts moyens en instrumentation. » Car, explique Roger Le Grand, les produits de santé imposent des contraintes spécifiques liées au fait que la finalité est de les administrer à des individus, « et dans le cas de vaccins, à des individus sains ». Ce temps incompressible s’explique par la nécessité d’une méthodologie rigoureuse d’évaluation de leur innocuité et efficacité, permettant d’interpréter les résultats. « Nous avons vu pendant la crise que cette méthodologie a parfois fait défaut, conduisant à croire à tort qu’une stratégie efficace avait été découverte. »
Records de vitesse
Pourtant, insiste le chercheur, des records de vitesse ont été atteints pour combattre le Covid-19. Mais qu’on ne s’y trompe pas, les plateformes à ARNm ou à adénovirus des vaccins n’ont pas été découvertes le premier jour de la pandémie « Tous les investissements des trente dernières années sur ces technologies, ainsi que le travail des chercheurs sur cette période, ont contribué à les rendre quasiment matures en 2020. » Des investissements qui reposent principalement sur l’argent public avant que le secteur privé ne prenne le relais. Pour faire face à une prochaine pandémie, Roger Le Grand recommande de « pré-penser un plan de développement » pour optimiser les délais grâce à une parfaite connaissance « des verrous qu’il faudra passer » et prédéfinir les « outils, structures et expertises » nécessaires. « Par exemple, si on trouve un vaccin mais qu’il faut encore construire l’usine, ce sont des mois que l’on perd. Tout doit être prêt à être activé, il faut trouver les moyens d’entretenir l’expertise et l’instrumentation en les maintenant en tension. Cela passe par une décision des concitoyens à travers l’État d’investir pour les garder opérationnels et être capable de monter en puissance en cas de crise. » À cela, il faut encore ajouter un élément essentiel : la coordination pour créer des passerelles entre les recherches précliniques et cliniques, ainsi que les capacités de production.
Une coordination qui doit aussi exister au niveau d’un territoire pour les essais cliniques. Aux yeux de France Mentré, directrice du département d’épidémiologie, biostatistiques et recherche clinique et cheffe du service du même nom à l’hôpital Bichat-Claude Bernard, « les essais cliniques sont la clé de voûte de la prise en charge des patients face à une épidémie ». Ils permettent non seulement de comprendre la maladie et l’évolution des patients, mais aussi d’évaluer rigoureusement les traitements.
« La France est trop petite pour être un réseau à elle seule mais l’Europe paraît être un bon niveau. C’est pourquoi nous avons mis en place un réseau d’investigateurs avec 20 pays européens. Il faut une coopération européenne pour définir les priorités, par exemple sur le choix des traitements à évaluer et ceux à écarter, la répartition des essais, la capacité à trier rapidement et laisser tomber ceux qui ne donnent pas les résultats escomptés. » Une manière d’éviter l’explosion du nombre d’études sur les mêmes molécules partout dans le monde, conduisant à des essais de petite taille car en forte concurrence.
Surveillance des pathogènes
« Désormais, le défi est de faire de la recherche clinique incluant des patients pris en charge en ambulatoire », ajoute France Mentré. Consultée par le ministère de la Santé, l’ANRS-MIE a rendu un avis sur le sujet en concertation notamment avec des représentants de médecins libéraux. « L’idée est d’impliquer les professionnels de santé de ville. Les pharmaciens d’officine n’ont pas été inclus dans cet avis mais je suis convaincu qu’il faut leur donner beaucoup plus d’importance dans la recherche clinique ambulatoire. Nous avons commencé à en parler à des pharmaciens universitaires », précise Yazdan Yazdanpanah.
Dernier volet à ne pas négliger dans la préparation à une future pandémie : avoir un système performant de détection des pathogènes. Il doit permettre à la fois une surveillance aléatoire représentative sur le plan géographique, en termes de classes d’âge et incluant les différents niveaux de sévérité d’une maladie, donc faisant participer la médecine de ville et l’hôpital, et une surveillance ciblée (cas graves, personnes immunodéprimées, échecs vaccinaux, détection des importations…). Un dispositif qui doit être dupliqué à l’identique en santé animale. « Il est important d’avoir des études de cohortes prépositionnées pour être capable de les réaliser rapidement aussi bien en ville qu’à l’hôpital, ce qui suppose un réseau structuré pour accéder aux prélèvements », explique Sylvie Van Der Werf, responsable du centre national des virus respiratoires de l’Institut Pasteur.
Cette surveillance comprend la capacité de séquençage pour suivre l’évolution génétique de tous ces pathogènes qui varient en permanence. « Il ne suffit pas d’analyser les séquences, il faut être capable d’analyser les fonctions associées aux mutations observées, pour savoir, par exemple, si elles changent la pathogénicité ou la façon dont le virus entre dans la cellule », indique Sylvie Van der Werf. En résumé, pour que le système de surveillance fonctionne de manière optimale, cela suppose « une bonne remontée des signaux » et « un excellent appariement entre les données cliniques, biologiques et de séquençage ». Un système qui doit lui aussi être « prépositionné » hors période de pandémie pour pouvoir monter en puissance rapidement en cas de crise.
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