Que l’on ne s’y trompe pas. La timide hausse du chiffre d'affaires (CA) observée en 2016 n’est pas un signe de reprise de l’activité officinale. Ni même de sursaut. Tout au plus est-elle à mettre en perspective avec une saison grippale plus virulente en fin d’année.
Pour les experts-comptables du cabinet Fiducial, qui publie ces statistiques dans le cadre de son enquête annuelle (1), 2016 ressemble à s’y méprendre à 2015, tout en en accentuant la tendance. Dans un contexte où plus de la moitié des officines voient leur volume d’activité baisser de 4,1 % en moyenne, le CA moyen se maintient péniblement à 1,517 million d’euros contre 1,506 en 2015. Ramenée aux seules ventes, l’évolution est même négative puisqu’elle n’atteint plus que 1,409 million d’euros (1,455 million en 2015) en raison de l’effritement de la part des ventes de médicaments remboursables. Celle-ci a en effet perdu 4,60 points en six ans pour ne plus constituer aujourd’hui que 75,08 % du CA des officines.
Des « laissées pour compte » plus nombreuses
Fort heureusement, les prestations de services ont doublé de volume pour compenser ce recul. Mais c’est peu. Et même insuffisant pour amortir le déclin de la marge commerciale, (26,23 % contre 29,08 % en 2015).
Car la marge brute (2), retenue désormais comme indicateur de la santé économique de l’officine, régresse, elle aussi, de 31,52 % à 31,47 %. Rien d’étonnant donc que, dans ce contexte, les pharmacies les plus fragiles continuent d’accuser le choc. Les officines de centre-ville en sont les grandes perdantes : 54 % d’entre elles subissent un déclin de leur CA d'au moins 5 %, suivies par les pharmacies de quartier dont 52 % accusent une baisse de plus de 4 %. La marge brute de ces deux catégories de pharmacies est également, à respectivement 31,18 % et 30,77 %, inférieure à la moyenne.
Ce déséquilibre risque d’être aggravé, selon les analystes, par les mutations du maillage officinal. « Ces chiffres 2016 confirment une tendance que nous faisons ressortir depuis plusieurs années. La pharmacie d’officine française marche à deux vitesses : la moitié des pharmacies sont en déroute sur le plan de l'activité et l'autre moitié conforte de manière plus que correcte le chiffre d'affaires. Les moyennes et les appréciations générales perdent donc beaucoup de leur signification dans ce contexte. Pour déterminer les gagnants et les perdants, on ne peut plus aborder la profession sans faire un travail précis d'analyse sur chaque typologie d’officine », relève Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial et responsable de cette étude.
Sans compter que les officines fragiles devraient faire les frais de « la restructuration en marche du réseau officinal via des regroupements ou la création de maisons médicales ». Ces « laissées pour compte » sont de plus en plus fréquentes, avertissent les experts-comptables. « Il n’est pas non plus possible de taire la déstabilisation que provoque l’arrivée de pharmacies qui opèrent avec une politique de prix très bas sur des produits non remboursables ou hors monopoles », soulignent-ils : « devenues de plus en plus nombreuses et puissantes financièrement, elles accroissent la concurrence et éliminent mécaniquement ceux qui ne peuvent rivaliser ».
En retour, comme le note Philippe Becker, « on constate tous que les pharmacies tournées ver le métier traditionnel ont été très « attaquées » par les plans de maîtrise de dépenses de santé, et tout particulièrement par la baisse des prix des médicaments remboursables. À l’inverse, celles qui sont moins dépendantes de l'ordonnance se trouvent moins pénalisées, ce qui est assez paradoxal dans la perspective de la revalorisation du métier de pharmacien d'officine. Schématiquement, il est plus rentable de vendre de la para ou de l'OTC en masse ! »
EBE en berne
Bon nombre de pharmacies se trouvent donc menacées, à moyen terme, par cette précarité croissante. La stabilisation de la marge brute ne saurait en effet suffire à conforter leur position entamée par la croissance – mécanique — des charges d’exploitation. Preuve en est : l’excédent brut d’exploitation (EBE), bien qu’en hausse de 0,93 % en valeur absolue, ne représente plus aujourd’hui que 12,56 % du chiffre d’affaires contre 12,60 %, il y a encore un an.
Ce tassement est d’autant plus inquiétant qu’il existe peu de marge de manœuvre pour les années à venir. « Aujourd'hui, certains relais de croissance qui ont permis de maintenir, voire d'améliorer la rentabilité sont moins dynamiques : par exemple, l'apport financier des "avantages génériques" est arrivé à un point haut il y a deux ans et ne progresse plus », note Philippe Becker.
De plus, en matière de productivité et de maîtrise des coûts, les pharmacies ont déjà accompli leurs devoirs. La productivité par salarié a augmenté de 320 000 euros à 326 000 euros en l’espace d’un an, alors que la masse salariale a baissé de 0,97 %. Côté trésorerie, les officines améliorent également leur situation en réduisant leur besoin en fonds de roulement (BFR). La plupart d’entre elles détiennent aujourd’hui un BFR positif. Le ratio crédits accordés aux clients passe de huit à sept jours en 2016, tandis que le ratio de rotation des stocks se maintient à 45 jours d’achats HT. Parallèlement, le ratio de crédits obtenus auprès des fournisseurs gagne un jour à 33 jours.
Ces performances ne se retrouvent malheureusement pas dans le portefeuille des titulaires. Comme en 2015, près de la moitié des gérants et cogérants « perçoivent une rémunération annuelle brute moyenne entre 35 000 et 61 000 euros », relève l’étude Fiducial. Cependant, les écarts se creusent, la rémunération moyenne s’élevant à 55 182 euros par titulaire, contre 55 983 euros en 2015. Les perdants sont les pharmaciens des petites officines (CA entre 750 000 euros et 1,050 million d’euros) et ceux qui totalisent entre 1,5 et 2 millions d’euros de CA. Leur rémunération a baissé de l’ordre de 4 000 à 7 000 euros en un an pour une hausse de 4 600 euros en moyenne chez les titulaires des plus grosses pharmacies (CA supérieur à 2 millions d’euros).
Reprise des transactions
Faut-il voir dans cette inflexion des revenus les raisons d’une plus grande réticence à investir ? Seulement 3,25 % des titulaires ont investi plus de 50 000 euros dans leur officine au cours de l’année 2016, tandis que plus d’un tiers n’a effectué aucun travaux. En termes d’endettement lourd, 82,60 % des officines ont aujourd’hui un emprunt en cours. Elles n’étaient que 80,50 %, il y a un an. « Il est très probable que la reprise des transactions ( ... ) est la cause de cette évolution », notent les experts-comptables. Pour eux, « ce n’est pas un mauvais signe, car cela montre, si besoin était, que les prêteurs ont un peu repris confiance dans l’officine libérale française ».
Une dynamique partagée, de toute évidence, par les titulaires eux-mêmes et que le cabinet Fiducial voudrait voir portée par les axes de la nouvelle convention pharmaceutique signée cet été. « Le fait de mieux rémunérer les actes pharmaceutiques complexes, les nouvelles missions, en mettant en valeur l'acte plutôt que la marge, devrait remettre un peu le balancier au milieu », estime Philippe Becker.
(1) À partir des données de 600 officines sélectionnées parmi les 1 600 ayant confié une mission comptable, fiscale et sociale à Fiducial.
(2) Elle inclut les prestations de services, les honoraires et la marge commerciale.
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