La révolution digitale de l'officine serait-elle en panne ? Force est de constater que les pharmaciens, aux prises avec de nombreux enjeux économiques, ne sont pas parvenus à opérer la digitalisation de leur officine (1). Pas à la mesure, en tout cas, de ce que réclame le défi qui leur est lancé par les GAFAM (2).
Il y a urgence à se saisir de ces nouveaux outils, réclamés par une partie de la population. Comme en témoignent les résultats de plusieurs sondages (3), les pharmaciens sont très attendus dans le domaine numérique par leurs patients. « Il est évident hélas que l'officine et le monde de la pharmacie officinale entrent avec un retard énorme dans l'ère du digital. Quelle en est la cause ? Un manque de volonté professionnelle ? Une inaptitude ou une réticence aux technologies nouvelles ou bien une confiance trop aveugle – ou une dépendance — en leur prestataire de logiciel ? », s'interroge Jean-Claude Pothier, président de Développement pharma gestion services (DGPS).
L'offre produit ne suffit plus
L'heure n'est cependant plus aux atermoiements. À l'heure où Amazon, mais aussi une multitude de start-ups, lorgnent avec gourmandise le marché de la pharmacie, la profession doit s'assurer des appuis. Or qui peut accompagner les officines dans cette nouvelle révolution, la deuxième depuis l'avènement du générique, sinon les groupements eux-mêmes ? D'autant que ces derniers, comme leurs adhérents, ne peuvent plus se contenter de la fonction achat pour se démarquer dans un environnement de plus en plus concurrencé. « Nous passons d'une offre axée sur les produits et conditions à une offre de services, notamment digitaux », constate François Douère, directeur des opérations chez Évolupharm. « La seule offre produits ne suffit plus aujourd'hui à différencier durablement un groupement. La variable « tarifs et remises » n'est en effet plus le seul critère de sélection du groupement par l'officine », renchérit Anthony Hurault, directeur d'Aelia.
Même constat dans le réseau Lafayette qui, depuis plus de cinq ans, s'est investi dans le digital. « Nous sommes convaincus du rôle du Web dans le parcours multicanal du patient et nous pensons que ces services préparent la pharmacie de demain, plus connectée, plus orientée services », expose Caroline Lapointe, directrice marketing de Lafayette. Cette transition est une évidence pour Apsara : « Le temps des groupements dont l'offre est uniquement axée sur la politique d'achat est complètement révolu. Un groupement doit pouvoir aujourd'hui accompagner son adhérent bien au-delà des négociations et jusqu'à la communication de proximité avec les patients. » Et de conclure « les prestations digitales sont incontestablement des facteurs déterminant le choix du pharmacien de travailler ou non avec un groupement ».
« Dans ce domaine où les possibilités créatives et techniques sont multiples, chaque groupement propose son propre panel de solutions digitales et personnalisées qui conviendront à des typologies différentes d'officines », analyse de son côté Anthony Hurault. Vincent Le Floc'h, directeur d'Alphega Pharmacie, croit lui aussi à ce critère concurrentiel. « L'offre digitale, B to B to C, est un élément différenciant sur le marché très concurrencé des groupements d'officines. Ce facteur sera identifié comme la capacité du groupement à offrir des solutions innovantes et de qualité, de premiers soins, de dépistage, de prévention… », expose-t-il.
Marquer sa différence
Confrontés au renouvellement de leurs effectifs, les groupements misent sur l'attractivité du digital pour séduire les générations montantes. Giropharm a ainsi organisé son Hackathon en 2017 et a déjà implémenté deux des outils lauréats, dont la Box O clope, pilote intégrant la e-santé dans le sevrage tabagique. Giphar implique ses adhérents au sein d'une commission de quinze pharmaciens bénévoles qui valide les innovations, tandis que Népenthès dédiera au numérique son congrès de novembre, à Paris. « Ce serait considéré aujourd'hui comme un défaut de proposer à un jeune titulaire une offre groupement faisant abstraction du digital », estime François Douère.
De fait, l'époque est révolue où le digital était l'apanage des geeks. Comme le remarque Laurence Dubois, directrice du développement commercial et partenariats chez Pharmavie, « la pharmacie n'est pas seule à être aux portes du digital, le monde du travail aussi est plongé dans le numérique, ainsi que l'ensemble de la société. Il est par conséquent de notre compétence d'aider nos adhérents à faire le bon choix en termes d'outils digitaux ».
Le monde du digital est aussi celui de l'anticipation pour Franck Vanneste, président-directeur général de Giropharm : « Il ne faut pas perdre de vue qu'à l'avenir, les générations de consommateurs ne seront plus les mêmes qu'aujourd'hui. Le numérique sera une évidence pour eux, ne serait-ce que pour des gestes simples comme la lecture sur les écrans de la pharmacie ou leurs achats qu'ils effectuent du reste, d'ores et déjà, en ligne en utilisant le click & collect. »
Une vision à long terme
L'avènement de cette ère donne ainsi un souffle nouveau aux groupements autant qu'à leurs adhérents. Pourvu qu'ils sachent les uns comme les autres s'en saisir. « Le pharmacien sait aujourd'hui où va son métier. Pour la première fois en cinquante ans, j'ai une vision à long terme. En 2018, les pharmaciens ont fait le choix d'être professionnels de santé. Le virage est pris. Le pharmacien passera du back-up au front office. À l'horizon 2025-2030, il sera coach de santé, que ce soit dans la nutrition ou la vaccination. Et s'il veut avancer dans cette direction, il faudra qu'il soit numérique », s'enthousiasme Christian Grenier, fondateur et président de Népenthès. « Il est incontestable, poursuit-il, que le métier de pharmacien est déjà numérique à 100 % avec la carte Vitale, le DP, la coordination des soins, tout est aujourd'hui dématérialisé. Mais le numérique a été préempté par la Sécurité sociale, Le pharmacien est sécu- dépendant, générico-dépendant, répartiteur-dépendant. Mais grâce au digital, on peut aujourd'hui développer un autre métier. »
Aussi, pour échapper à cette emprise, pour opérer sa mue vers l'acteur de santé qu'il devra être demain, le pharmacien a besoin de son groupement pour s'affranchir du numérique institutionnel. Ce credo suppose cependant que la démarche digitale aille bien au-delà du simple outil. Elle doit s'intégrer à un projet global. « A contrario, relève Jean-Baptiste de Coutures, président de Giphar, si un groupement n'a pas de stratégie, le digital ne remplira pas son rôle. Car le digital appuie la stratégie d'un groupement, en apportant des solutions. » Le président de Giphar insiste par ailleurs sur le caractère fiable et stable des options digitales prises par le groupement. Cet engagement est même la condition sine qua non de l'adhésion des pharmaciens à la stratégie digitale de leur groupement.
Au service d'une stratégie
« Le digital est un élément différenciant pour les groupements car son succès repose sur la pertinence de la démarche, notre force est l'implémentation et la mise à jour dans la vie réelle. Plutôt que d'outils nous parlons de solutions, car cela comprend autant l'outil que la formation et l'implémentation : c’est le cas avec Link, la plateforme digitale qui permet de piloter tout l’univers de la pharmacie en un clic », ajoute Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv. C'est également l'avis de Patrick Rémond, directeur du réseau « Les pharmaciens associés » : « Les solutions digitales ne sont pas une fin en soi. Elles sont au service de la stratégie du pharmacien et du groupement. Dans cette optique, les solutions digitales vont agir comme une caisse de résonance, comme un accélérateur et comme un amplificateur des stratégies. »
Visions à long terme et expertises sont donc requises pour engager les adhérents dans cette nouvelle aventure. « En tant que structure, nous avons les moyens de développer une stratégie cohérente, englobant les outils les plus pertinents pour l'exercice officinal (pilotage, parcours d'achat, accompagnement des patients) tout en garantissant un retour sur investissement », souligne Franck Vanneste. Cette approche évite l'écueil du gadget. Cependant, dans ce registre, et plus particulièrement dans le domaine des objets connectés, les avis divergent. Ainsi, alors que de nombreux groupements considèrent les objets connectés avec beaucoup de réserve, sinon de méfiance, d'autres groupements s'en font des alliés. Lafayette estime cette évolution inéluctable : « Le développement des objets connectés et l'intelligence artificielle vont bousculer le domaine de la santé en amenant de nouveaux usages (dépistage préventif, prédiagnostic, assistance au diagnostic, suivi du patient…), et donc modifier les missions des professionnels de santé. »
Une rupture sans précédent
Ce n'est pas une surprise, la mutualisation, dans l'ADN des groupements, intervient également dans la démarche numérique. Car, comme le souligne Christian Grenier, « l'avantage du numérique, ce sont les économies d'échelle qu'il permet de réaliser car ce qui est valable pour un pharmacien l'est pour 22 000. Or ce phénomène de groupe n'empêche pas chaque pharmacien d'individualiser et de prendre de l'autonomie au travers de son site, de sa page Facebook… C'est une véritable transformation, une industrie. Les prestations numériques représentent deux ans de travail et un investissement en temps de travail de 1 à 2 millions d'euros ».
Il n'en reste pas moins que le rôle des groupements suppose parallèlement un raisonnement global sur l'adaptation des outils digitaux et leur intégration dans une stratégie de moyen et long termes. « Un groupement doit, en étudiant le présent, anticiper sur ce que sera le digital dans cinq ans en tenant compte des évolutions technologiques et comportementales. C'est ainsi que nous réfléchissons en permanence sur la présence Web, la passerelle online/offline, le digital in store, la base de données pharmacien, l'usage des tablettes, l'application mobile partagée par le réseau, ainsi que la présence sur les réseaux sociaux. Cela, seul un réseau Enseigne est capable de le faire et j'irais même plus loin, ce réseau ne peut exister s'il ne dispose pas de l'ensemble de cet écosystème digital, car ces sept éléments constitutifs doivent évoluer concomitamment pour permettre aux pharmaciens de s'adapter aux mutations. Quand on baigne 24/24 7/7 dans ce domaine on est capable de distinguer ce qui va convenir au projet global de l'officine et ce qui relève du gadget », expose Lucien Bennatan, président de Groupe PHR, fer de lance de digitalisation, puis de la phygitalisation de l'officine.
Il va sans dire que l'entrée dans l'ère du digital implique pour de nombreux groupements, un changement de paradigme. Une rupture qui pourrait même s'avérer fatale pour certains. « Le digital sera un point qui fera la différence entre les groupements, demain. C'est aujourd'hui un pré requis. Il est évident que certains groupements n'auront pas les moyens de s'y investir. Le mouvement va aller en s'accélérant », prévient Laurence Dubois.
Du B to B au B to C
Inutile de rappeler que sur un marché du numérique très concurrencé, et alors que les titulaires sont sollicités par une offre pléthorique de starts-ups et d'acteurs divers, les groupements excellent dans leur rôle de « filtre ». Des années, pour certains plusieurs décennies, d'expérience à la fonction achats leur ont conféré cette expertise. De même, cette vocation initiale aux achats leur a permis, très tôt, de développer des solutions numériques pour le back-office. C'est ainsi que les groupements ont aujourd'hui fait leurs preuves dans l'efficience de solutions numériques dédiées au B to B. « Notre groupement dispose d'excellents outils de pilotage. Giropharm peut fournir une analyse très fine des achats de chaque adhérent de par son statut de mandataire au paiement, permettant demain d'envisager une délégation aux achats pour les adhérents les plus volontaires », expose Franck Vanneste.
Nombre de groupements ont aujourd'hui décliné sur différents supports (applications mobiles, sites Web avec espace sécurisé, et même tablettes pour certains) les différentes fonctionnalités de leur outil de gestion (référencement, achats, suivis de commandes, statistiques, facturation avec service de duplicata…), y compris pour certains des coffres-forts électroniques. Ou encore un développement RH comprenant aide au recrutement, fiches de poste, coaching et même formation.
Des outils de communication ont été intégrés pour permettre un dialogue entre les experts du groupement et l'adhérent (voir page 28). Sur ces espaces professionnels fonctionnant telles des plateformes, les adhérents peuvent non seulement acheter, accéder à des outils de pilotage tels que tableaux de bord de leurs performances commerciales, obtenir les remontées des opérations commerciales, centraliser les retours aux laboratoires, suivre les RFA, se comparer aux autres adhérents du groupement et aux pharmaciens de leur zone de chalandise, mais aussi s'informer et se former en e-learning. Ou encore consulter le catalogue pour les groupements qui disposent d'une plateforme de commandes. La tendance est aujourd'hui au canal unique, solution à arborescence, souvent accessible depuis un site Internet ou Intranet.
Ces véritables boîtes à outils ainsi constituées recèlent également des solutions destinées aux adhérents et à leurs équipes pour animer le point de vente : affiches de promotion ou de campagnes santé à télécharger ou à créer, à imprimer quand elles ne diffusent pas directement sur écrans, bornes tactiles et autres supports (tablettes par exemple). Chez certains groupements comme Médiprix, l'encaissement par mobile sur smartphone est imminent.
C'est donc tout naturellement que, par le biais du digital, les fonctions B to B servent de base à la digitalisation du point de vente, et de tremplin au développement de solutions B to C. « Nous nous apercevons aujourd'hui que le pharmacien a de plus en plus besoin de services B to B pour gagner du temps, de la performance, il y a une très forte montée en puissance, avec une hausse de 50 % de la fréquentation de notre espace pharmacien entre le premier trimestre 2017 et le premier trimestre 2018. Le nombre de bases consultées a quant à lui augmenté de 60 % », constate François Douère, précisant que les pharmaciens adhérents disposent de deux niveaux d'accès, l'un étant praticable pour l'équipe qui y dispose d'affiches pour l'animation du point de vente, tandis que le second est strictement réservé au titulaire qui peut y suivre l'évolution de son chiffre d'affaires, des RFA, des relevés de factures mensuelles et des duplicatas.
Du temps dégagé au bénéfice du patient
Car, appliqué à la particularité du monde officinal, le digital se doit de soutenir le pharmacien à la fois dans son rôle de chef d'entreprise, en back-office, et dans son rôle de professionnel de santé, en front office. D'où le double enjeu de l'intégration du numérique que les groupements s'emploient à gagner. « Comme tout chef d'entreprise, le titulaire est concerné par le développement du digital dans la gestion de son entreprise. Sur le volet commerce de son activité et en tant que professionnel de santé, il doit faire face à l'émergence de nouveaux besoins de services comme la teléordonnance, le click & collect, le suivi du traitement, la livraison, le chat live, le bilan partagé de médication… Tout pharmacien doit se poser la question de savoir si son officine respire la modernité et est adaptée aux nouveaux usages du consommateur. Il faut donc aborder les éléments digitaux comme les fondamentaux communs aux deux parcours, celui du patient et celui du consommateur », expose Lucien Bennatan, résumant ainsi la complexité de l'approche.
Les groupements ont bien compris que la réelle plus-value que pouvait apporter l'optimisation des solutions digitales du back-office, était de dégager du temps à leurs adhérents pour qu'ils puissent se consacrer davantage à leurs patients. Les mutations du métier, les nouvelles formes de rémunération, ainsi que les nouvelles missions, comme le bilan partagé de médication et la vaccination antigrippale, ont accéléré ce mouvement, le rendant irrévocable.
Les groupements ont pleinement pris conscience de la nécessité d'épouser cette évolution de la profession. « Ils proposent des outils mutualisés, des outils numériques qui ne se limitent pas aux achats, pour permettre de libérer du temps aux titulaires qui, chaque semaine, y consacrent au moins sept heures, soit un coût de 40 000 euros par an », atteste Christian Grenier. Cette notion de temps est fondamentale. Et à l'unanimité, les groupements peaufinent leur stratégie digitale pour que ce gain de temps dégagé soit mis au profit de la relation patient.
Repousser les murs de l'officine
Une relation d'autant plus fluidifiée qu'elle reposera, elle aussi, sur des solutions numériques. « Le digital rallonge l'espace et raccourcit le temps » : par cette formule, Serge Carrier résume l'enjeu de l'application du numérique à l'exercice officinal. De fait, l'espace-temps transcende aujourd'hui les murs de l'officine grâce aux multiples outils digitaux mis en œuvre par les groupements. Sites de réservation de produits avec retrait en officine, (click & collect) et cartes de fidélité dématérialisées et interopérables à l'ensemble du groupement…, pour ne citer que les fonctionnalités les plus développées, n'ont qu'un seul objectif : repousser les murs de l'officine. Il s'agit de prolonger, au-delà de la pharmacie physique, les liens entre le pharmacien et son patient/client pour à la fois améliorer la performance commerciale de l'officine et positionner le pharmacien en acteur de santé. L'un des avatars de cette démarche est bien évidemment le développement de l'e-commerce, soutenu par un grand nombre de groupements. Et envisagé par Anton & Willem (enseigne d'Objectif Pharma) qui franchira le pas très prochainement.
Cette « téléportation » de l'officine va même plus loin. Objectif Pharma profite de sa proximité avec Pharmagest, acteur majeur de l'informatique officinale, pour construire des offres et des services innovants, via notamment le LSO patient. Ainsi le service « Ma pharmacie à la maison » permet aux patients qui ne peuvent pas accéder aux services à l'officine d'en profiter chez eux, grâce à une nouvelle portabilité sécurisée de l'informatique jusqu'à son domicile. « La nouvelle version de « Ma pharmacie mobile » va faire de cette application un véritable passeport santé », annonce le groupe. Il est conforté dans sa démarche par les résultats d'un sondage de son enseigne Wellpharma : la présence du digital dans une pharmacie a certes peu d'importance a priori pour les clients mais, paradoxalement, ces derniers se déclarent satisfaits quand ils trouvent ces outils en officine.
Ces révélations incitent les groupements à ne pas négliger le développement digital du point de vente physique. En effet, il participe lui aussi de la stratégie globale du groupement et bénéficie d’innovations technologiques multiples destinées à l'animation de l'espace de vente : vitrines et écrans tactiles, bornes interactives… Giropharm va même plus loin. Le groupement proposera en fin d'année un espace digital enfants en officine animé autour de la mascotte du réseau, Lili. « Son objectif est de positionner le pharmacien Giropharm, comme acteur majeur de l'éducation des enfants aux bons gestes de prévention et de santé », explique Aurélie Herlin, titulaire à Murs Erigné (Maine-et-Loire) et membre du groupe de travail Édition chez Giropharm. Quand il ne s'agit pas, à la pointe de l'innovation technologique, de concept stores phygitaux, avec reconnaissance du patient dès son entrée grâce sa carte fidélité, à l'instar du parcours client mis en place dans les officines à l'enseigne « Ma Pharmacie Référence ».
Les murs digitaux, ou linéaires digitaux directement connectés au LGO et au robot, qui tendent à se généraliser sont, quant à eux, sans nul doute, l'application la plus aboutie de la volonté de ne pas rompre le lien avec le comptoir. Ils donnent au titulaire et à son équipe la capacité de passer plus de temps à l'écoute des patients.
La pertinence de l'offre
Que l'on ne s'y trompe pas. Les groupements n'ont aucunement l'intention de faire de leurs adhérents des pharmaciens virtuels, avatars d'officinaux dématérialisés. « Il faut, insiste Anthony Hurault, que l'ensemble des solutions numériques proposées ne soient que des outils de support pour la mise en relation et le contact humain entre le patient/usager et le professionnel de santé. »
Aussi, les outils digitaux développés par les groupements tentent tous de répondre à ce paradoxe : faire appel aux ressources du numérique pour rendre le pharmacien encore plus proche. Ceci est d'autant plus impératif que le pharmacien se destine à devenir professionnel de santé de premier recours. « La digitalisation de l'officine va proposer des solutions pratiques permettant de simplifier et de fluidifier le parcours d'achats, qui correspondent d'ailleurs aux habitudes d'achat des clients dans d'autres circuits de distribution. L'engagement de l'équipe officinale est essentiel pour faire vivre une relation avec le patient qui est désormais décloisonnée, ne se limitant plus à l'officine, mais qui doit cependant être centrée sur le conseil », définit David Carré, directeur administratif, financier et systèmes d'information de Giropharm.
Pourvu que ces nouvelles fonctionnalités répondent à un réel besoin du patient. Et dégagent une valeur ajoutée pour le pharmacien. Tel est le rôle des réseaux de pharmacies soucieux de définir la finalité de leur démarche numérique. Selon Antoine Souied, fondateur et codirigeant de LeaderSanté, la différence entre les groupements va se faire sur la pertinence de l'offre. « Proposer un site Web pour une présence Web n'a pas grand intérêt. Il faut se poser les bonnes questions : comment maintenir le lien avec le patient en dehors de la pharmacie ? Quels sont les services indispensables ? Quels services seront utilisés et comment ? », interroge-t-il.
Giphar a développé « J'accompagne mes patients ». Ce module propose au pharmacien dont les tâches ont été facilitées au préalable en back-office, notamment par les modules « Je commande », « Je m'engage » et « Je gère mes prix de vente », de mieux travailler en front office. « Ce nouvel outil digital adapté aux nouvelles missions, au dépistage, au sevrage tabagique… couplé à un agenda, permet de prendre les rendez-vous, d'envoyer un rappel au patient par SMS, et même de faire des comptes rendus », décrit Jean-Baptiste de Coutures. Le groupement s'efforce de mettre à disposition des outils qui assurent une fluidité, tant dans le back-office que dans le front-office, et qui permettent au pharmacien « de mieux servir ses patients ». Il n'en insiste pas moins sur l’importance de l'appropriation de l'outil digital par le pharmacien. « C'est un pré requis puisque nous sommes dans une démarche gagnant-gagnant », insiste Jean-Baptiste de Coutures.
Les nouvelles missions du digital
Cette intégration de l'outil digital dans la pratique officinale est aujourd'hui une condition sine qua non du succès de la profession, estiment les groupements. En effet, accompagnant l'avènement des nouvelles missions et anticipant de manière globale sur les mutations du métier du pharmacien, les groupements entament aujourd'hui une troisième étape dans leur révolution digitale.
Après le B to B, le B to C, le B to B toC permet au titulaire et à son équipe de bénéficier du soutien opérationnel de leur groupement dans la réalisation des entretiens pharmaceutiques, la prise de rendez-vous pour des tests de dépistage (auditif chez Leadersanté, âge des artères et asthme chez Alphega, risques cardiovasculaires, apnée du sommeil, incontinence etc. chez « Les Pharmaciens associés », bilan de peau interactif chez Objectif Pharma…), pour la vaccination antigrippale et demain pour des bilans de médication, ou encore pour la prise en charge des traitements oraux en cancérologie.
Chez Giropharm, les nouvelles missions ont inspiré la conception d'outils innovants comme la création de la plateforme digitale dédiée exclusivement au dépistage du diabète, le Girotest (PC ou tablettes).
Cette démarche induit en même temps que l'interaction du patient, le développement d'applications mobiles. C'est ainsi que, dès janvier 2019, Leadersanté déploiera une application proposant plusieurs services attendus des patients, allant du click & collect à la prise de rendez-vous en pharmacie. L'optimisation de l'observance est également l'objet de nouvelles solutions. Déjà, le futur déploiement du DMP inspire de nouvelles solutions de communication, comme chez Lafayette.
Dans le développement d'outils numériques destinés à soutenir leurs adhérents dans l'évolution de leur métier, les groupements appartenant à des réseaux internationaux détiennent, sans conteste, une longueur d'avance. Ils peuvent en effet s'appuyer sur l'expérience de leurs homologues étrangers pour accompagner le pharmacien dans le management du changement. Pharmactiv (groupe Mc Kesson) met ainsi à disposition un catalogue numérisé et permet d'accéder à Better Life, un modèle britannique, pour proposer un matériel MAD, scénarisé par lieux de vie (salle de bains, chambre et mobilité extérieure). « Nous partageons au sein du groupe un ensemble d'expérimentations telles que la livraison en une heure en Italie ou le calcul de l'âge des artères au Portugal… », complète Serge Carrier.
Dans le volet des entretiens pharmaceutiques, Pharmavie simplifie la vie de ses adhérents en regroupant l'ensemble des outils digitaux sur une plateforme, « une solution déjà éprouvée par nos confrères italiens », souligne Laurence Dubois. Alphega (Walgreens Alliance Boots), pour sa part, s'appuie sur l'expérience Walgreens aux USA et Boots en Angleterre pour développer ses compétences et expertises en matière d'offre digitale B to B to C. Il lancera en fin d'année une application patient provenant du groupe, qui contiendra en phase 1 les éléments suivants : conseils de santé, services de la pharmacie, store locator, programme de fidélité et santé connectée, « la seule application aux USA possédant 5 étoiles dans le domaine de la santé », commente Vincent Le Floc'h.
Les Data en question
Reste que le prolongement du digital aux fonctionnalités de prises en charge du patient rend encore plus prégnante la nécessaire protection des données. La question épineuse de l'utilisation des Data qu'a soulevée à maintes reprises Lucien Bennatan et qui prend une nouvelle dimension à l'heure où le pharmacien se profile en professionnel de santé de premier recours. Le dirigeant du groupe PHR reste très circonspect sur la dimension des données produites et collectées par le biais du numérique et sur l'usage qui peut en être fait par de nombreux intervenants œuvrant autour des acteurs de santé. Aussi, se déclare-t-il plus que sceptique vis-à-vis de certaines campagnes de prévention et de dépistage initiées par les éditeurs de LGO. Il dénonce même le blocage exercé par les LGO sur le développement d'un écosystème digital global dans les réseaux (Enseignes) pharmacie.
François Douère est formel. Il n'est pas question de perméabilité dans les systèmes. « Nous sommes très vigilants et il n'est aucunement question de donner, vendre ou louer les bases de données relatives aux data spécifiques dans le cadre du RGPD. Il n'y a aucune connection directe ni descendante avec les LGO et nous n'avons par conséquent en aucun cas accès au LGO des pharmaciens », déclare-t-il. Le traitement et la protection des données questionnent également les autres dirigeants de groupement. « Les data représentent un défi. Il faudra que nous développions les outils pour que les données puissent rester chez les adhérents. Ainsi, un pharmacien pourra-t-il extraire les données ou les informations dont il a besoin, pour, par exemple déterminer le nombre de diabétiques dans sa patientèle, afin d'envisager un programme d'accompagnement. Il s'agira d'un profilage de patients, en quelque sorte, mais à bon escient et dans un souci de santé publique », réagit pour sa part Serge Carrier.
Cette prudence à l'égard de l'utilisation des données incite les groupements à sélectionner davantage encore les prestataires auxquels ils recourent. Car autrefois tentés par le développement interne de leurs solutions numériques, ils optent désormais de plus en plus pour l'externalisation. En veillant toutefois à conserver la main et la coordination, via leurs départements dédiés et un cahier des charges contraignant, sur la conception de ces outils.
Ticket d'entrée pour l'interpro
Tout comme aucune solution digitale ne peut être conçue sans modèle économique patent, elle ne peut être davantage développée sans prise en considération de son aspect réglementaire. Jamais cette question n'avait autant mérité d'être soulevée qu'à l'heure où les outils digitaux se prédestinent à de nouvelles fonctionnalités. Le bilan partagé de médication, à titre d'exemple, tout comme le suivi de l'observance des patients chroniques, vont ouvrir nécessairement de nouveaux champs dans la configuration des outils numériques. Car si le mode digital, notamment par le biais de tablettes, permet d'ajouter une note ludique et de gommer certaines barrières générationnelles, il n'en suscite pas moins de nouveaux défis en matière de sécurisation de l'information.
D'ores et déjà, les groupements détiennent dans leur pipeline de nouvelles solutions. Univers Pharmacie mise ainsi beaucoup sur le bilan de médication digitalisé accompagné par ses coachs en pharmacie, ainsi que sur l'observance avec son service « Mon renouvellement ». PharmaVie prévoit de démarrer avant la fin de l'année des pharmacies pilotes avec le nouvel outil digital « Bilan de médication partagé ». Quant au réseau « Les pharmaciens associés », il a noué des partenariats avec des laboratoires pour proposer à ses adhérents un ensemble de dispositifs de santé connectés. Ces nouveaux outils permettent de surveiller l'observance des traitements et l'évolution des pathologies avec beaucoup plus de précision. « En donnant accès à la patientèle à ces nouveaux produits (tensiomètre, lecteurs de glycémie…), les pharmaciens adhérents s'impliquent davantage dans le suivi thérapeutique et assurent une amélioration de la qualité de la prise en charge », décrit Patrick Rémond.
Cependant, dans la constitution de ce nouvel écosystème, les groupements doivent désormais tenir compte d'une autre dimension, celle de l'interprofessionnalité qui ajoute une nouvelle donne dans la communication et la sécurité des flux. Optipharm a anticipé cette évolution en intégrant à son portail adhérents, l'accès à la plateforme Monali. Cette solution 360 °« trois en un » est composée de trois applications destinées respectivement au patient (envoi d'ordonnances, commande de matériel médical, achat en ligne, réception de documents, bilan de médication et vaccination), au pharmacien (entretiens pharmaceutiques, services spécifiques tels que PDA, livraison et vaccination, réception d'ordonnances et réception de commandes de matériel médical), et enfin à l'interprofessionnalité, un partage du dossier patient étant possible avec les infirmières et les médecins, tout comme un accès aux sorties d'hôpital.
Le groupement Pharmacorp a lui aussi fait le choix de cette plateforme interprofessionnelle de santé qui place le pharmacien au cœur de la relation ville-hôpital-patient. Il en est devenu actionnaire afin, précise Laurent Filoche, son président, « que les nouvelles missions puissent être fluidifiées autant pour le patient que pour le pharmacien ». « Monali permettra de vraiment démarrer l'interprofessionnalité et de déverrouiller les relations ville/hôpital en évitant aux pharmaciens d'être ostracisés par les prestataires de santé à domicile extérieurs à la profession », ajoute-t-il.
Préserver l'humain dans la troisième dimension
Les premiers jalons de l'interprofessionnalité sont ainsi posés, avant même la mise en œuvre de la télémédecine. Cette perspective divise cependant les groupements. Certains comme Évolupharm sont sceptiques et préfèrent envisager un pharmacien disposant d'outils connectés pour les diagnostics. « Pour le diabète par exemple, ce qui lui permettrait d'entrer dans le parcours de soins », explique François Douère, annonçant que son groupement est en train de finaliser une offre dans le « connecté » en MAD afin d'améliorer la vie des personnes dépendantes.
D'autres groupements, au contraire, croient au rôle du pharmacien dans la télémédecine. C'est le cas du réseau « Les pharmaciens associés », qui songe à des Chatbots et s'attachera des partenaires au dernier trimestre 2018, ou encore d'Alphega qui étudie ce dossier au sein d'une commission stratégique. Giphar se dit attentiste tant que l'aspect réglementaire et le modèle économique de la télémédecine n'auront pas été définis. Le groupement, dont certains adhérents concernés sont moteurs de la réflexion, ne rejette cependant pas cette solution, notamment pour les patients dans l'incapacité de prendre rendez-vous chez leur médecin ou pour les populations de zones isolées ou sous-dotées médicalement.
Ceido, déjà bien avancé dans ce dossier, a noué un partenariat stratégique avec Cegedim afin que l'expérience du leader du traitement des données de santé, alliée à son expertise digitale, puisse déboucher rapidement sur des pilotes dans le domaine de la téléconsultation assistée, parallèlement au pilotage économique de l'officine et à l'aide à la dispensation. Apsara explore lui aussi ce nouveau terrain, envisageant principalement le pharmacien dans des schémas où il aiguillerait le patient vers l'acteur de santé le plus compétent, « un lanceur d'alerte santé » en quelque sorte. Népenthès quant à lui étudie une solution de télémédecine reposant sur l'utilisation d'objets connectés (tensiomètre, oxymètre, glucomètre, etc.) qui fourniront autant de paramètres pertinents au médecin pendant la téléconsultation.
Sur cette nouvelle facette de l'exercice officinal, et face à l'émergence de l'intelligence artificielle dans le monde de la santé, les groupements se doivent de rester prospectifs. En témoignent leur activité en R & D et leur investissement en solutions innovantes. Népenthès vient ainsi de lancer un outil de prévention santé, intégré dans une tablette tactile qui fait appel à l'intelligence artificielle. L'expression digitale d'un groupement, et par conséquent celle de ses adhérents, se traduit en termes d'image, un facteur déterminant face aux évolutions des modes de consommation. Fidèles à leurs engagements, les groupements devront donc maintenir une veille permanente afin d'identifier les nouvelles opportunités induites par la technologie. Plus que jamais les groupements seront attendus dans leur rôle d'évaluation et d'arbitrage. Il y va de la cohérence et de la durabilité de l'écosystème digital de la pharmacie.
Cependant, pour enthousiasmantes que soient les perspectives ouvertes par le numérique dans l'exercice officinal, y compris et surtout pour les diplômés de demain, il ne faudra jamais faire abstraction d'une composante essentielle, la prise en compte de « l'humain ». Ni perdre de vue, insiste Franck Vanneste que « le virtuel et le digital doivent rester un support au service du pharmacien afin qu'il puisse jouer son rôle de soignant, moderne et engagé ».
(1) Voir « La pharmacie d'officine à l'heure du digital » Les Échos-études, décembre 2017.
(2) Acronyme des géants du Web que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
(3) Selon une étude Kozéa Groupe « Community management de la pharmacie », réalisée du 1er mars 2018 au 24 mars 2018 auprès de 2 557 patients et 353 pharmaciens, 80 % des patients pensent que la présence de leur pharmacien sur les réseaux sociaux les rapproche. 78 % des officinaux en sont cependant absents.
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