IL EST LARGEMENT admis que le facteur émotionnel joue un rôle non négligeable dans nos prises de décision, ce que de nombreuses études comportementales ont confirmé en montrant que, bien que nous ayons une certaine capacité à contrôler notre état affectif, les stimuli émotionnels altèrent notre jugement et, donc, modifient notre réponse face à la situation qui se présente à nous. C’est ainsi que des personnes auxquelles on avait demandé de tester différentes boissons en les soumettant à leur insu à la projection infraliminale de visages exprimant des sentiments variés ont été clairement influencées par ces stimuli dans leurs appréciations.
Le phénomène d’aversion à la perte.
Des études d’imagerie cérébrale ont, par ailleurs, démontré l’implication de certaines régions du cerveau, dont l’amygdale et l’insula, dans le processus décisionnel ; or ces zones interviennent également dans les réactions émotionnelles et physiologiques. Cela tend à indiquer que la gratification, le choix et l’affect seraient régis par des mécanismes communs. Il semblerait, notamment, que les émotions exercent une influence majeure sur nos décisions en matière d’opérations financières, faisant que nous sommes davantage sensibles aux pertes essuyées qu’aux bénéfices réalisés. Ce phénomène est désigné sous le nom d’« aversion à la perte » (voir encadré).
Par une approche fondée à la fois sur des tests cognitifs et sur des mesures physiologiques, une équipe de psychologues américains a donc tenté de vérifier la réalité du phénomène d’aversion à la perte et de déterminer dans quelle mesure celui-ci pouvait être contrôlé par une démarche active de l’intéressé. Pour ce faire, il a été demandé à 30 participants (âge moyen : 22 ± 3 ans) d’effectuer une série de choix financiers forcés, destinés à mettre en lumière trois composantes comportementales : la mise en balance des possibilités de gain et de perte, l’aversion au risque et la cohérence des choix exprimés.
L’identification à un courtier en bourse.
Les résultats ont confirmé l’existence d’une inclination « naturelle » des participants à être davantage affligés par une perte financière qu’ils ne sont enthousiasmés par un gain. Toutefois, la mise en application d’une approche cognitive faisant intervenir l’aptitude à s’identifier à un courtier en bourse (perspective taking) a eu pour effets quelque peu inattendus de réduire non seulement l’aversion à la perte, mais aussi le degré d’émotion causé par un mauvais résultat financier.
Cette démonstration de l’impact que peut avoir une stratégie de régulation active des émotions sur le niveau de réactivité des individus face à certains revers rejoint les observations rapportées par de précédents auteurs selon lesquelles le recours à une telle stratégie induit des modifications à la fois comportementales, physiologiques et neurales. Dans la mesure où le fait de s’identifier à un trader obéit à la même approche réinterprétative, il est possible que le mécanisme mis en jeu soit similaire.
Cette étude apporte ainsi un certain éclairage sur ce qui distingue l’investisseur professionnel du boursicoteur. Peut-être l’un et l’autre ont-ils des personnalités intrinsèquement différentes, mais il se pourrait aussi que le premier ait appris à gérer ses élans émotionnels, ce qui lui permet de prendre des décisions financières plus judicieuses.
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