DANS LES VIEILLES chansons de marins, on parle souvent du cap Horn, quelquefois de Nantes ou de Valparaiso, jamais du canal du Midi. Sans doute parce que ce ruban d’eau qui serpente de Toulouse à l’étang de Thau est surtout fréquenté par ceux que les gens malveillants appellent les marins d’eau douce. Il est vrai que la navigation sur ces eaux dormantes ne nécessite pas des qualités de loup de mer. À preuve : aucun permis n’est nécessaire pour embarquer sur une des « pénichettes » qui sillonnent le canal. Généralement, on les loue pour une semaine. À bord, un grand carré équipé d’un coin cuisine, quelques cabines, une barre et un moteur paisible. Les premières écluses passées et quelques manœuvres désordonnées plus tard, une voie royale s’ouvre à vous. Sous des tunnels de verdure, les platanes centenaires se reflètent dans une succession de miroirs. L’atmosphère est ouatée. L’air frais distille un parfum d’herbe écrasée et de fleurs sauvages.
« On y voit le pays autant et mieux qu’en diligence », s’émerveillait Stendhal. Le canal traverse, contourne, caresse toutes les cités qui font rêver?: Toulouse, la ville rose alanguie dans sa torpeur orientale au bord de la Garonne ; Castelnaudary, qui chérit son dernier moulin à vent ; Carcassonne, chimère médiévale revisitée par l’inévitable Viollet-le-Duc à coup de gargouilles et de mâchicoulis ; Béziers, capitale du vin, de la corrida et du rugby ; Sète, la « Venise languedocienne », où Paul Valéry repose face à la mer. Infatigable, la route de l’eau poursuit sa course dans un décor de vignes, de champs et de jolis villages écrasés de soleil. Ponctuée par des maisons d’éclusier aux volets vert olive, elle traverse un tunnel, enjambe un fleuve, dégringole une cascade d’écluses vertigineuses.
Abandonné depuis une dizaine d’années par la navigation commerciale, le canal du Midi est devenu le haut-lieu de la flânerie touristique. On rencontre ici des péniches échappées des quais d’Amsterdam, des barges bariolées et quelques houseboats d’un autre temps. Des familles sages croisent de fiers voiliers – mât replié – en route vers d’autres mers. Sur les ponts vernis de bateaux rutilants, les retraités heureux arrosent leurs géraniums voyageurs. Des cyclistes furtifs filent sur les anciens chemins de halage.
Projet pharaonique.
Relier les deux mers, joindre l’Atlantique à la Méditerranée, les Romains y pensaient, François 1er en avait rêvé, le Roi-Soleil l’a réalisé. Ou plutôt, il a laissé Pierre-Paul Riquet, un leveur de gabelle entreprenant, engloutir tous ses biens dans ce projet pharaonique que Colbert avait trouvé cocasse. Mais cet homme était un génie. Les chiffres sont éloquents : 240 kilomètres de longueur, 360 ouvrages d’art (écluses, ponts-canaux, aqueducs, barrages). Tout fut creusé à la pelle et à la pioche par une armée de 12 000 ouvriers. En quinze ans. À sa mort, en 1680, il manquait quatre kilomètres pour inaugurer le canal. Sa fortune s’était évaporée.
Cette époque avait le goût du sacrifice. Mais les actionnaires malheureux des ouvrages gigantesques peuvent se consoler : après avoir mis plus de quarante ans à rembourser les dettes de leur père, les enfants de Pierre-Paul tirèrent un joli pactole du grand canal. Aujourd’hui, le canal du Midi, qui est classé au patrimoine mondial de l’humanité, a été confié à l’administration des voies navigables de France. Avec le temps, un réseau de fleuves et de canaux s’est greffé sur le rêve fou de Riquet : le canal latéral à la Garonne, le Lot et la Baïse, la Robine, le canal du Rhône à Sète. Une manière inépuisable de voyager sur les eaux du Midi. Heureux comme Ulysse.
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