ON NE SAURAIT parler du Goncourt 2011 sans rendre hommage à Gallimard, qui a choisi de publier le premier roman d’Alexis Jenni - un professeur de lycée lyonnais, agrégé de biologie, âgé de 48 ans - alors que la maison d’édition célèbre son centenaire ; elle obtient ainsi son 36e prix Goncourt depuis 1903. Le lauréat a d’ailleurs devancé, par cinq voix contre trois, une autre écrivaine « maison », Carole Martinez (« Du domaine des murmures »). Ce succès ne va pas sans rappeler la précédente initiative de Gallimard, de publier, en 2006, un autre premier roman, une somme qui ployait aussi sous le poids de l’Histoire : « les Bienveillantes », de Jonathan Littell.
Alexis Jenni, qui se considérait comme un « écrivain du dimanche », a mis cinq ans pour peaufiner, le plus souvent à la terrasse des cafés, « L’art français de la guerre », un gros roman qu’il a voulu d’aventure et qui explore, dans un style à la fois classique et épique, cinquante ans d’histoire à travers le fait militaire.
On y suit l’itinéraire d’un vieux soldat doué pour la peinture, des maquis de la Résistance à la première guerre du Golfe, en passant par l’indépendance de l’Algérie et le bourbier indochinois. Un chemin de sang raconté par un jeune homme désœuvré qui améliore sa technique du dessin en même temps qu’il perd de sa « totale irresponsabilité » et qu’il s’interroge sur le pourquoi de l’éternel recommencement des guerres. Sur les mots aussi qui ont entraîné les hommes à se battre, sur l’idée de « nation » et ce qu’il en reste après vingt ans de guerres coloniales. Et ce n’est pas un hasard si des descentes de police ont lieu dans les banlieues pendant que l’un transmet à l’autre ses remords et ses chagrins…
La biographie d’un antihéros…
Auteur d’une douzaine de livres - prix Femina en 1995 pour « la Classe de neige » -, scénariste et réalisateur âgé de 54 ans, Emmanuel Carrère était, avec « Limonov » (P.O.L.), le grand favori pour le prix Renaudot (qu’il a reçu au deuxième tour par six voix contre quatre à Sylvain Tesson). Il donne, avec cette biographie romancée du Russe Édouard Limonov, le portrait d’un homme ambigu, héros pour certains, salaud pour d’autres.
Idole de l’underground soviétique après avoir été voyou en Ukraine, Édouard Limonov a connu son heure de célébrité à Paris dans les années 1980, avec notamment la parution de son roman à scandale « le Poète russe préfère les grands nègres », ses provocations diverses et ses prises de position politiques pro serbe (il a obtenu la nationalité française en 1987). Lorsqu’il est retourné en Russie, il a compté parmi les people de la société moscovite et il est devenu le leader du Parti national-bolchevique à l’idéologie rouge-brun (interdit en 2007). Paradoxalement, des grandes figures de la démocratie, dont la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa et la veuve du prix Nobel de la paix Sakharov, Elena Bonner, se sont rangées du côté des skinheads du parti nasbol qui dénonçaient la Russie mafieuse pourrie par l’argent. Tout le talent d’Emmanuel Carrère est de montrer l’ambivalence de ce personnage, dans un souci de neutralité mais en interrogeant en miroir son histoire familiale et son identité.
… Et celle d’un salaud.
La biographie de Jean Fontenoy qui a valu à Gérard Guéguan le prix Renaudot de l’essai - « Fontenoy ne reviendra plus » (Stock) - est par contre, sans ambiguïté, aux dires de l’auteur, celle d’un véritable « salaud ». Gérard Guéguan, ancien critique de cinéma et auteur d’une quarantaine d’ouvrages, qui obtient là son premier prix littéraire à l’âge de 71 ans, retrace l’itinéraire de ce journaliste qui s’est fourvoyé dans les idéologies du fascisme et du nazisme dans les années trente et la collaboration. Jusqu’à son absorption, à Berlin en 1945, d’une capsule de cyanure, à 46 ans. Pour le lauréat, qui décortique la vie de cet intellectuel aussi brillant que minable afin de comprendre pourquoi il a basculé, Jean Fontenoy était « un dégueulasse »… « comme l’époque », ajoute-t-il.
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