LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- L’Europe presse la France, depuis plusieurs années, de se réformer, ce qui a abouti récemment au rapport de l’Inspection générale des finances sur les professions réglementées et au projet de loi « croissance et pouvoir d’achat » du gouvernement. Concernant les pharmacies, quelles réformes sont possibles sans déstabiliser le réseau officinal ?
JOËL LECOEUR.- Il faut d’abord parler du maillage territorial. Aujourd’hui, les officines sont bien réparties sur le territoire national, et les zones rurales ne sont pas désertées. La preuve : plus d’un tiers des officines sont implantées dans des communes de moins de 5 000 habitants. Mais il est vrai que les officines rurales sont les plus touchées par la crise, et qu’il y a une désaffection des jeunes diplômés pour ce type d’exploitation. Ces pharmacies risquent de disparaître lors du départ à la retraite du titulaire si elles ne trouvent pas d’acquéreur, comme c’est déjà le cas dans bon nombre de professions médicales disposant de la liberté d’installation. Or une suppression des règles de quorum déstabiliserait le réseau pharmaceutique, tant sur le plan financier – par une moindre valorisation des fonds de commerce – que sur celui de l’offre de santé publique. Une libre installation entraînerait en effet une surdensité de pharmacies dans les villes à forte population, et une sous-densité, voire une disparition, en milieu rural. Dans ces zones, l’officine est le dernier rempart de l’accès aux soins, et après la désertification médicale nous assisterions à une désertification pharmaceutique. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Europe : c’est dans les pays européens où la législation est la plus souple qu’il y a le moins d’officines par habitant.
Que proposez-vous pour maintenir le maillage territorial ?
Les règles régissant l’installation, les créations, les transferts et les regroupements doivent être maintenues en l’état, afin de conserver le maillage territorial. Mais il faut pour cela, et tout en facilitant l’accès à la profession des jeunes diplômés, réformer le mode d’exercice : à cet effet, il convient de permettre à une seule et même société d’exploiter plusieurs pharmacies. Cette nouvelle voie nécessite des aménagements législatifs : un titulaire associé gérant par point de vente, des fonds de commerce situés dans un même territoire de santé défini par l’ARS, et une limitation du nombre de points de vente à quatre par SEL – soit le même nombre que les prises de participation possibles.
Concernant l’ouverture du capital, le projet de loi du gouvernement prévoit, ou prévoyait, une ouverture du capital des SEL des professionnels de santé à des capitaux extérieurs à hauteur de moins de la moitié du capital social. Qu’en pensez-vous ?
Pour de nombreux économistes, les professions réglementées nuiraient à l’économie française et porteraient une part de responsabilité dans la détérioration des exportations de notre pays. Une note d’analyse de France Stratégie montre que, en dix ans, le prix des biens et services échangeables - exportables - a diminué de 10 %, tandis que celui des biens et services non échangeables - dans les secteurs protégés - a augmenté de 25 %. L’absence de concurrence et la forte progression des coûts unitaires salariaux dans les professions réglementées auraient contribué à la hausse des prix, et donc des coûts. Dans cette situation, France Stratégie indique qu’il serait plus attractif de produire et d’investir dans le secteur des biens non échangeables. L’ouverture du capital des professions réglementées ne ferait qu’accroître ce phénomène. Il semble donc plus judicieux de diriger le capital vers des secteurs de biens échangeables pour les rendre plus compétitifs.
Que peut-on envisager alors en matière d’ouverture de capital ?
De nos jours, les contraintes d’apport personnel découragent les jeunes diplômés de s’installer, et ces jeunes conservent de ce fait un statut de salarié. L’ouverture du capital à des investisseurs extérieurs ne ferait que les maintenir dans ce statut, avec même plus de difficultés à défendre leur indépendance professionnelle.
Je pense que l’ouverture du capital des SEL pourrait être autorisée aux pharmaciens adjoints, comme c’est déjà le cas pour les SPFPL. Une véritable stratégie d’entreprise pourrait se mettre en place en faisant évoluer le statut salarié de l’adjoint vers un statut de collaborateur libéral, comme cela existe dans d’autres professions. On pourrait mettre en place également un plan d’actionnariat volontaire, en transformant une partie du travail de l’adjoint en parts ou actions gratuites, lui assurant une évolution de carrière professionnelle et facilitant, à terme, la transmission de l’officine.
Concernant le monopole, il a été prévu, à un certain moment, d’autoriser la vente de certains médicaments en dehors des pharmacies, sous la responsabilité d’un pharmacien. Les médicaments à prescription médicale facultative sortiraient donc du monopole. Quelles seraient les conséquences selon vous ?
Pour les ventes de médicaments ne relevant pas d’une prescription médicale, le pharmacien doit être d’autant plus vigilant sur la délivrance, tout risque sanitaire devant être écarté. Le surdosage du paracétamol en est un bon exemple. Il faut du reste rappeler que le pharmacien peut refuser de délivrer s’il le juge nécessaire.
Qu’en serait-il dans le cadre d’une vente en grande ou moyenne surface ? Un médicament qui a reçu une AMM reste un médicament et doit relever du monopole de l’officine.
Quid, d’après vous, des produits dits « frontière » ?
Une liste des produits « frontière » n’ayant pas fait l’objet d’une AMM pourrait effectivement être établie, en autorisant leur vente en dehors de l’officine.
En conclusion, comment doit évoluer le réseau officinal et quelles réformes faut-il envisager ?
Une réforme de la profession de pharmacien devra en effet être mise en place, mais en maintenant ses trois piliers fondamentaux que sont le monopole de vente, le maillage territorial et l’indépendance professionnelle.
Pour relever ce défi, il me paraît indispensable de faire évoluer les schémas juridiques actuels d’exploitation, en facilitant l’accès à la profession des jeunes diplômés, par plusieurs leviers. D’abord en faisant sauter le seuil de détention directe de 5 % du capital dans les sociétés d’exploitation, afin de faciliter les transmissions. Il faut rappeler qu’aujourd’hui, en raison de ce seuil, le régime de l’intégration fiscale est inapplicable lorsque la SEL comporte plusieurs titulaires. Par ailleurs, il faut permettre à plusieurs associés d’une même SPFPL de détenir plusieurs SEL, et autoriser une SEL à détenir quatre fonds de commerce d’officines sur un périmètre restreint, afin de favoriser le regroupement capitalistique. Enfin, il faut ouvrir le capital des SEL aux pharmaciens adjoints et faire évoluer le statut de salarié en statut de collaborateur libéral.
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